Adriana Lecouvreur de Cilea à l’Opéra de Paris

Adriana Lecouvreur règne sur la Bastille

Anna Netrebko se taille un vif succès dans l’opéra de Cilea.

Adriana Lecouvreur règne sur la Bastille

Plusieurs raisons nous ont incité à aller voir la reprise, à l’Opéra Bastille, de la production d’Adriana Lecouvreur dans la mise en scène de David McVicar, qui y fut donnée en 2015 et n’a jamais été reprise depuis lors (entre autres pour cause de covid).

Primo, pour la rareté de cet opéra en quatre actes de Francesco Cilea, sommet du vérisme musical créé à Milan en 1902 avec un grand succès. Mélo sentimental peu souvent monté en intégralité sur scène, l’opéra très imprégné de Puccini, son contemporain, est surtout connu pour ses airs de concert. Il s’étire sur trois heures et demie (avec deux entractes), fertiles en intrigues et retournements.

Deuxio, pour la mise en scène richement dotée du britannique David McVicar, créée à Londres en 2010 et impliquant une phalange de grandes maisons lyriques internationales (Barcelone, Vienne, San Francisco). Un rien conventionnelle et empesée, en costumes et décors d’époque somptueux, la production veut restituer l’esprit du Siècle des Lumières où il se situe, sans aucune velléité de déconstruction / interprétation / actualisation, et c’est tant mieux.

Tertio, pour la qualité des interprètes avec une équipe de haut vol, menée par la soprano Anna Netrebko qui incarne le rôle-titre. Las, la poignée des premiers rôles est appelés à changer à partir du 25 janvier, elle fonctionne donc comme un produit d’appel susceptible d’attirer le chaland, ce qui se pratique de plus en plus dans la maison.

La tragédie d’une tragédienne

Tout est vrai mais largement romancé dans l’histoire de la tragédienne à succès Adrienne Lecouvreur (dont le prénom a été italianisé comme tous les autres protagonistes). Très prisée de Voltaire, dont elle fut l’amante et l’interprète, cette sociétaire de la Comédie-Française a été assimilée en son temps rien moins qu’à Melpomène, la Muse de la tragédie et du chant. Son destin et sa fin tragique en 1730, probablement empoisonnée, a été exalté dans une pièce très célèbre d’Eugène Scribe, interprétée entre autres par Sarah Bernhardt. Le livret d’opéra qui en a été tiré situe l’action dans ses derniers jours, dans le milieu des comédiens et celui des salons aristocratiques où elle brille.

Avec forces péripéties, méprises et intrigues secondaires, l’opéra balance entre comédie et tragédie, mais plus le spectacle avance, plus la musique très lyrique de Cilea fait pencher la balance du côté de la seconde. Comme dans la pièce de Racine Andromaque, nul n’est aimé de la personne qu’il aime, ou en tout cas pas autant qu’il le voudrait. Mais c’est la Princesse de Bouillon, qui lutte contre Adrienne pour la conquête du volage comte de Saxe, qui aura le dernier mot : elle adresse à la tragédienne un bouquet de violettes empoisonnées qui l’enverront ad patres, dans les bras du joli cœur revenu se repentir dans son giron.

Si les décors et les costumes évoquent avec faste le monde du XVIIIe siècle, en revanche la direction d’acteurs est réduite à sa plus simple expression. Les interprètes sont souvent plantés face au public, dans un jeu d’autant plus outrancier qu’on a affaire ici à des stars des scènes dramatiques et lyriques, rivalisant plutôt que s’accordant dans les duos. On peine à croire à l’investissement amoureux des un(e)s et des autres. En revanche l’engagement des prestations individuelles est indéniable.

Une diva qui surjoue

À la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Paris, le jeune chef italien Jader Bignamini brille surtout dans les nombreux passage orchestraux distillés tout au long de l’Opéra, au fil d’une musique enveloppante, dont il fait entendre l’extrême variété des couleurs. Ainsi dans le très beau prélude de l’acte IV avec des pianissimi de rêve, et dans les divertimenti dansés qui parsèment le troisième acte. Moins probant, l’accompagnement des chanteurs dans le chapelet d’airs magnifiques qui ponctuent la représentation, lâchant la bride aux interprètes, lesquels ne se privent pas de faire assaut de virtuosité.

Une liberté dont la russo-autrichienne Anna Netrebko fait un large usage, notamment au premier acte où elle surjoue la diva. Mais à mesure que l’opéra avance, elle parvient à teinter de touchante émotion son interprétation de l’amoureuse déçue, notamment dans son sublime air du quatrième acte Poveri fiori… qui lui vaut un triomphe. Elle domine très nettement le ténor azerbaïdjanais Yusif Eyvazov, son époux à la ville, qui lui donne la réplique en comte de Saxe et dont la voix aux accents métalliques n’a pas toujours la séduction requise. Dans le rôle de la princesse de Bouillon, la mezzo biélorusse Ekaterina Semenchuk fait montre d’un mordant à la hauteur de celui de sa rivale. Complétant le quatuor des premiers rôles, le baryton Ambrogio Maestri campe un Michonnet, vieil intendant du théâtre, secrètement et désespérément amoureux d’Adriana, très émouvant.

Photo Sébastien Mathé

À l’Opéra Bastille jusqu’au 7 février, www.operadeparis.fr
Direction musicale : Jader Bignamini. Mise en scène : David McVicar. Décors : Charles Edwards. Costumes : Brigitte Reiffenstuel. Lumières : Adam Silverman. Chorégraphie : Andrew George. Chef des Chœurs : Alessandro Di Stefano. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Adriana Lecouvreur : Anna Netrebko (du 16 au 25 janvier), Anna Pirozzi (du 28 au 7 février). Maurizio, comte di Sassonia : Yusif Eyvazov (du16 au 25 jan.), Giorgio Berrugi (du 28 jan au 7 fév.). La principessa di Bouillon : Ekaterina Semenchuk (du 16 au 22 jan.), Clémentine Margaine (du 25 jan. au 7 fév.). Michonnet : Ambrogio Maestri, Il principe di Bouillon : Sava Vemić, L’abate di Chazeuil : Leonardo Cortellazzi.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de...

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