Paris, Théâtre 14 jusqu’au 28 août 2010

Ah ! Zam ! Ah… Feydeau ! de Michel Azama et Georges Feydeau

Affaires de mœurs

Ah ! Zam ! Ah… Feydeau ! de Michel Azama et Georges Feydeau

L’activité théâtrale n’est pas très intense à Paris, en été. C’est le moins qu’on puisse dire. Le théâtre 14 réagit, depuis pas mal d’années, contre cette désertification des scènes avec son cycle « En compagnie(s) d’été » que dirige Susana Lastreto. Peu d’argent dans les caisses, mais beaucoup de passion pour l’équipe de Lastreto appelée GRRR (Groupe rires rages et résistance). A chaque fois, un spectacle central plus important et le créneau de 19 h confié à de très jeunes compagnies – c’est ainsi que nous avons vu Les Pieds dans le plat par la compagnie Illico Echo, variation sur la cuisine encore un peu confuse dans sa conception mais, par moments, d’une forte drôlerie cruelle. En prime cette année, Susana Lastreto a tourné un film qu’on peut voir certains soirs, Monquatorze, où elle a fait lire des textes d’artistes ayant vécu à Montparnasse, de Giacometti à Cocteau, par de simples habitants du quartier et aussi par le directeur du théâtre, Emmanuel Dechartre : un beau film, sans bluff, d’une profondeur souriante, qui rayonne d’un vif amour pour les gens et trouve l’exacte place de ce carrefour nécessaire où se rencontrent le passé et le présent.

Le spectacle central qu’a conçu Susana Lastreto, Ah ! Zam ! Ah… Feydeau, entrechoque Georges Feydeau et Michel Azama. Ce deuxième écrivain, l’un des plus joués parmi nos contemporains français, ne s’est pas seulement intéressé à Pasolini et aux Croisades, pour faire allusion à ses pièces les plus connues, il a croqué le couple et la famille. C’est ainsi que Susana Lastreto a mélangé des scènes du vaudevilliste avec celles de ce moderne héritier de Jarry et Artaud. Elle a pris un fil conducteur chez chacun et a tiré sur les deux fils. Dans l’œuvre du premier, elle a choisi l’histoire d’un garçon et d’une fille qui doivent apprendre les Fables de La Fontaine et préfèrent se donner un cours de batifolage. Chez le second, elle a gardé la comédie d’une noce où l’on s’interroge sur la grossesse de la mariée qui n’est manifestement pas due au nouveau mari. Partant sur ces deux drames comiques, elles brasse, comme dans un jeu de cartes, toutes sortes de dialogues et de monologues empruntés à l’un et à l’autre. De telle sorte qu’on ne sait plus à tout coup ce qui est d’Azama et ce qui est de Feydeau, bien que la psychanalyse et l’inceste soient évidemment des domaines réservés au premier.

Sur des éléments de décor à roulettes, au gré des allées et venues d’un rideau qui découpe l’espace, l’action court à gauche, à droite, du premier plan au dernier. Elle crie, elle murmure, elle chante (avec un joli sens musical). La mayonnaise a parfois du mal à prendre car on ne passe pas si facilement du comique quasi troupier au « trash » d’aujourd’hui, du gag daté à la folie woody-allénienne, de la gaillardise du XIXe siècle à l’humour trouble d’à présent. Le tourbillon a des à-coup, qui font partie du jeu et créent une impression de fête doublement perturbée, par les surprises vaudevillesques d’abord, par la mise à nu de comportement cachés d’autre part. On entendra, selon ses propres goûts, ces grincements comme des effets de l’art ou comme des accidents introduits dans une mécanique parfois rebelle au mélange des époques. Il y a, de toute façon, des moments irrésistibles, notre préférence allant à la très savoureuse incarnation des enfants mal élevés par François Frapier (quel grand comédien !) et Susana Lastreto. Mais toute la troupe joue, pour rire, comme on marque au fer rouge : là où les mœurs jouent un double jeu avec la morale du temps.

Ah ! Zam ! Ah… Feydeau ! d’après Amours fous de Michel Azama, de Fiancés en herbe, Les hommes sont bêtes, Aux antipodes de Georges Feydeau, adaptation et mise en scène de Susana Lastreto, musique composée et jouée par Annabel de Courson et Jorge Migoya, scénographie et costumes de Rodolfo Natale et Valérie Perrier, lumière de Stéphane Deschamps, avec François Frapier, Hélène Hardouin, Annabel de Courson, Serge Djen, Jorge Migoya, Susana Lastreto, Jean Soumagnas. Théâtre 14-Jean-Marie Serreau, tél. : 01 45 45 49 77, jusqu’au 28 août (1 h 20).

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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