Paris, Théâtre de la Vieille grille du 31 mai au 3 juin 2010

A quoi on joue ? de et par France Léa

Au bonheur des mots

A quoi on joue ? de et par France Léa

Elle ne parle que d’elle pour mieux s’adresser à chacun d’entre nous, c’est la marque des poètes, des vrais, que d’élever à l’universel la minuscule singularité de l’expérience humaine. France Léa est une fille du cabaret du temps où justement c’était un repaire de poètes, chantant ou pas. Aujourd’hui, sur la scène de la Vieille Grille, elle renoue avec cette relation d’intimité si particulière avec le public qui est son élément naturel. Ses airs de petite bonne femme toute simple qui s’excuserait presque d’être là, son sourire angélique, ses hésitations, ses coq-à-l’âne sont trompeurs ; elle sait très bien où elle va, à contre-courant de ceux qui s’affichent d’emblée, qui paient d’avance pour ramasser leur comptant de bravos. Elle, tout le contraire. Proche de l’univers d’un Prévert, elle dessine à pas lents sa planète, façon Saint Ex, un de ses chéris, et ils sont nombreux. D’ailleurs, elle s’est fait accompagnée dans sa traversée poétique par une bande de rêveurs, et des plus grands, de Racine à Pichette, en passant par Rimbaud, Villon ou Rilke, et bien d’autres, et nous suggère de « nous fiancer à un poète, d’en acheter un ou de l’emprunter à la bibliothèque », viatique par excellence. Que de bons conseils : « écoutez les mots et ce qu’ils ont à vous dire ».

Elle nous entraîne dans une succession de réflexions métaphysiques sur la difficulté d’être (« J’ai la gueule de bois de moi…je m’échangerais bien contre une indienne d’Amazonie », l’estime de soi et le regard des autres, sur l’amour, le temps qui passe (« Plus personne veut arrêter d’être jeune », « 50 ans et toujours pas de montre de marque »), sur le sens de la vie, cette drôle de pièce dans laquelle on ne peut pas changer de rôle et dont on connaît la fin. Le ton doux-amer se fait volontiers blagueur, gentiment décalé, ses histoires sont semés de bonheurs d’images toujours juste dans la notation des sentiments. Son portrait en pied sous les couleurs du cirque Pinder est un conte délicieux : au niveau des tripes, les fauves et autres bêtes féroces, en haut, la délicate trapéziste dont les sauvages attendent la chute pour la dévorer toute crue. Ainsi en va-t-il de notre combat perpétuel entre nos parts d’ombre et de lumière. Amoureuse des mots, bien que « la langue soit le gouvernail le plus difficile à tenir », elle sait jongler avec les doubles sens et les jeux sur les mots aussi bien que Devos. Son texte intitulé « Moi et Je » est un régal du genre, où, dans un bel exercice de haute voltige elle met en scène Je qui n’en fait qu’à sa tête et Moi qui veille au grain pour cadrer cet impulsif inconscient et le rappeler à l’ordre du monde. En guise de conclusion, elle explique d’une petite voix tranquille qu’« on ne meurt pas, on sort de scène », « on retourne à l’état de projet. Dans le chapeau claque du souffleur, le carton à desseins divins. On en ressortira colombe, foulard de soie, lapin. » Et pourquoi pas ? Sans effets de manche, sans chichi, avec une force intérieure qui s’affiche comme une fragilité du cœur, France Léa a ce talent de nous rendre à notre état d’enfance.

A quoi on joue de et par France Léa au théâtre de la Vieille grille. Du 31 mai au 3 juin à 21h. Durée : 1heure. Tel : 01 47 07 22 11.

Lettre à Rilke, les 7 et 8 juin.

Les dits de scène.Geneviève Berthezène éditeur.

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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