Macbeth d’un outre-monde

À l’Opéra Comique, Macbeth et sa Lady se souviennent et méditent sur une musique de Pascal Dusapin.

Macbeth d'un outre-monde

AU FIL DE SES OPÉRAS, PASCAL DUSAPIN s’est associé aux grands mythes (Roméo et Juliette, Faust, Penthésilée, plus récemment Dante), et c’est le 20 septembre 2019 qu’a été créé à La Monnaie de Bruxelles son Macbeth underworld, bien sûr inspiré de Shakespeare. L’ouvrage, coproduit avec l’Opéra Comique, aurait dû y être représenté au printemps 2020, mais l’épidémie que l’on sait a reporté cette reprise à l’automne 2023.

Macbeth underworld est annoncé comme un « opéra en huit chapitres ». Pour autant, la narration n’est pas sa caractéristique principale. Il ne faut pas s’attendre ici à la mise en musique de la sanglante histoire de Macbeth comme a pu la composer Verdi, mais plutôt à une méta-œuvre qui viendrait se greffer sur la tragédie de Shakespeare. Le librettiste Frédéric Boyer a en effet ressuscité Macbeth et sa Lady dans un outre-monde afin de les faire méditer (en anglais) sur leurs sanglants exploits. Hécate, dans un prologue parlé, nous donne la clef : ils ne savent pas qu’ils sont morts et se souviennent. Et basculent dans la culpabilité sans pouvoir échapper à la nuit dans laquelle ils sont enfermés.

Un miroir comme une éclipse

Sur cette trame qui n’en est pas une, mais qui a ses vertus poétiques et philosophiques, Pascal Dusapin a composé une musique qui, elle non plus, n’avance pas, au sens où elle n’accompagne pas une action avec ses péripéties. Elle est faite de longues tenues instrumentales (cordes, cuivres graves, orgue, percussions abondantes mais dont la diversité des timbres pourrait être davantage exploitée), sans aucun arsenal électro-acoustique, sur lesquelles les chanteurs parlent (un peu) et expriment leurs tourments sous la forme d’un récitatif qui vire souvent à l’hallucination. La folie des uns et des autres contraste avec le statisme de la conception orchestrale.

Les moments essentiels de la pièce reviennent sous forme de cauchemars : le meurtre du roi est figuré par un silence ; lors du banquet où apparaît le spectre de Banquo, celui-ci se lève de la table habillé d’une nappe blanche percée de deux trous comme un fantôme de dessin animé ; à la fin, les arbres de la forêt se déplacent et viennent étouffer Macbeth dans un unisson abrupt. L’une des scènes les plus convaincantes est celle au cours de laquelle, dans des bribes jouées à l’archiluth (hommage à la musique élisabéthaine ?) et des chants d’oiseaux nocturnes, Macbeth et Lady Macbeth ne trouvent pas le sommeil. Il y a là un lavabo, comme dans la plupart des mises en scène d’aujourd’hui, mais ici tout à fait en situation, avec un miroir en forme de disque noir figurant une éclipse : belle trouvaille !

Le poignard et le fausset

La mise en scène de Thomas Jolly s’appuie sur de spectaculaires décors signés Bruno de Lavenère : arbres aux branches torturées, escaliers fantastiques, enchevêtrement de néons blancs et rouges. Superbement éclairée, la scène est propice au déploiement du chœur (il s’agit de l’excellent Chœur Accentus en résidence à l’Opéra de Rouen, également coproducteur du spectacle), des figurants et des personnages, presque tous habillés de blanc (la couleur du deuil), au premier chef Macbeth et sa Lady. À Bruxelles, Macbeth était Georg Nigl. À l’Opéra Comique, le rôle est repris par Jarrett Ott, magnifique chanteur au timbre miroitant et sombre, capable de passer d’un registre à l’autre (voix de fausset) avec une stupéfiante aisance, et d’apporter mille nuances à sa prononciation de la langue anglaise. Katarina Bradić (qui a interprété le rôle-titre dans la récente Cassandra de Bernard Foccroulle à La Monnaie) succède à Magdalena Kožená et Sophie Marilley ; entre angoisse et hystérie, sa Lady Macbeth est plus uniforme, cependant que le Portier de John Graham Hall est autant bouffon que maléfique*. Le Spectre de Banquo, chanté par Hiroshi Matsui, a quant à lui quelque chose d’un Commandeur un peu las qui promène le poignard qui lui est planté dans le dos.

Frédéric Boyer et Pascal Dusapin ont choisi de faire intervenir aussi un enfant énigmatique (Rachel Masclet, membre de la Maîtrise populaire de l’Opéra Comique), peut-être celui que n’a pas eu le couple fatal, mais aussi trois Sœurs bizarres, doubles des sorcières de Shakespeare (Maria Carla Pino Cury, Mélanie Boisvert, Melissa Zgouridi), qui s’agitent dans les arbres, tendent à Macbeth un poignard au bout de cannes à pêche et apportent de la variété au plateau vocal.

Dans la fosse, Franck Ollu tient avec efficacité l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, fait jouer les tuilages, dose les couleurs et les nuances prévues par le compositeur sans pour autant sauver le déroulement de la partition d’une certaine monotonie. C’est peut-être le lot d’un ouvrage qui réfléchit plutôt qu’il raconte, et dont l’impossible sommeil est l’enjeu.

Illustration : Hiroshi Matsui (le Fantôme) et Jarrett Ott (Macbeth). Photo : Stefan Brion

* À La Monnaie, le rôle du Portier était tenu par Graham Clark, disparu le 6 juillet dernier.

Pascal Dusapin : Macbeth underworld. Avec Jarrett Ott (Macbeth), Katarina Bradić (Lady Macbeth), Maria Carla Pino Cury, Mélanie Boisvert, Melissa Zgouridi (Weird Sisters), Rachel Masclet (Child), Hiroshi Matsui (Ghost), John Graham Hall (Hecat, Porter). Mise en scène : Thomas Jolly (reprise par Katja Krüger) ; décors : Bruno de Lavenère ; costumes : Sylvette Dequest ; lumières : Antoine Travert. Chœur Accentus, Orchestre de l’Opéra de Lyon, dir. Franck Ollu. Opéra Comique, 8 novembre 2023.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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