Armide de Lully à l’Opéra Comique
Armide avant et après
Un an et demi après l’Armide de Gluck, voici venir, dans le même décor et sous la même direction musicale, celle de Lully.
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- 18 juin
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PHILIPPE QUINAULT EST L’UN DES LIBRETTISTES les plus inspirés qui soient. Poète plutôt que librettiste d’ailleurs, comme on disait au temps de la tragédie en musique – et comme dira encore Berlioz en qualifiant les paroles de ses Troyens de poème et non pas seulement de livret. La beauté des mots qu’il met dans la bouche de Renaud et d’Armide sont tels qu’ils ont inspiré deux compositeurs, à près d’un siècle de distance : Lully, dont Quinault fut le fidèle compagnon de route, et Gluck. À l’Opéra Comique, c’est d’abord l’Armide de Gluck (1777) qu’on a pu goûter en novembre 2022, avant que les mêmes artistes s’emparent de celle de Lully, qui date de 1686.
Il serait vain, bien sûr, de comparer les deux partitions, tant la majesté de Lully, inventeur de la tragédie en musique à la française, est typique de son auteur, tant l’expression des passions et la vigueur de l’orchestre caractérisent la manière de Gluck. Christophe Rousset est à l’aise en compagnie des deux musiciens (il a enregistré l’Armide de Lully chez Aparté), mais il nous passionne davantage chez Gluck. L’Armide de Lully qu’on vient d’entendre souffre en effet d’une certaine raideur dans le Prologue et les deux premiers actes ; il faut attendre l’arrivée de la Haine, au troisième acte, puis la vaste passacaille du IV et le départ de Renaud pour que les musiciens des Talens lyriques donnent du mouvement à la musique. Mais la partition est ainsi faite, et chez Gluck, déjà, le premier acte nous avait paru assez gourmé.
Chorégraphie sommaire
La mise en scène, en revanche, n’a pas mis à profit les dix-huit mois écoulés pour prendre de l’étoffe. Lilo Baur a en effet repris le décor de sa première Armide, sans chercher à varier sa direction d’acteurs. On retrouve l’arbre monumental qui forme le pivot de la scénographie, mais ce qui se passe tout autour est traité de manière superficielle, presque illustrative, sans élan dramatique. Surtout, les déplacements du chœur de chambre Les Éléments, par ailleurs très en forme vocalement, s’imbriquent sans difficulté aux mouvements des six danseurs, tant la chorégraphie de Cláudia de Serpa Soares a quelque chose de sommaire : la Haine et sa suite peuvent encore exprimer l’effroi au troisième acte, mais les moments de paix et de volupté du IV sont parfois à la limite du ridicule.
Il faut compter sur les solistes pour mettre de l’animation dans le spectacle. Plusieurs d’entre eux étaient déjà présents chez Gluck : on retrouve ainsi Edwin Vrossley-Mercer, dont l’autorité a eu peu pâli, Enguerrand de Hys, toujours aussi fin musicien en Artémidore et Chevalier danois, et le très convaincant duo formé par Florie Valiquette et Apolline Raï-Westphal qui interprètent chacune quatre petits rôles et contribuent, notamment au quatrième acte, à la féerie de l’ensemble. Lysandre Châlon est sonore dans le double rôle d’Aronte et d’Ubalde, mais la voix d’Anas Séguin n’a pas la noirceur et la férocité qu’on attend du personnage allégorique de la Haine, traité ici au premier degré à la manière d’un démon de parodie. Enfin, Abel Zamora est un Amant fortuné suave comme il sied.
Le rouge pour distinguer
Comme le fera Gluck, Lully a confié Renaud à un ténor assez tendu vers l’aigu, sans qu’on puisse parler de haute-contre (il serait intéressant d’entendre un Reinoud van Mechelen dans le rôle tout entier). Cyrille Dubois, qui sait atteindre à une grande véhémence dans ses premières interventions, nous ravit par la manière dont il aborde l’air « Plus j’observe ces lieux ». Mais le rôle de Renaud est relativement court, et c’est Armide qui est au cœur de l’action, au fil, comme le dit ailleurs Vincent Dumestre, d’une introspection permanente. Malheureusement, Ambroisine Bré n’est pas aidée par la mise en scène de Lilo Baur, qui la distingue en l’habillant de rouge, voilà tout, dans un environnement visuel plutôt sombre. Quelques gestes de violence, quelques mots quasi parlando ne forgent pas une interprétation, et on souffre ici d’un manque de grandeur tragique dans l’incarnation. Sans abuser du jeu des comparaisons, car une production est toujours le fruit d’un travail d’équipe, on pense à la manière dont Stéphanie d’Oustrac s’emparait du rôle avec une grandeur, un fruité vocal et cette énergie qui n’appartient qu’à elle.
L’Armide de Gluck, il y a un an et demi, avait pu nous séduire. Le regard porté par la même Lilo Baur sur un ouvrage qui, trompeusement, reprend la même histoire et les mêmes mots, nous laisse en partie frustrés. Lully fait davantage appel à la danse : peut-être une chorégraphie autrement fouillée aurait donné à ce spectacle le nerf dont il est dépourvu.
PS : cette soirée était dédiée à la mémoire de Jodie Devos, tragiquement disparue le 16 juin.
Illustration : Ubalde (Lysandre Châlon) séduit par Mélisse (Apolline Raï-Westphal) ; photo Stefan Brion (dr)
Lully : Armide. Armide : Ambroisine Bré ; Renaud : Cyrille Dubois ; Hidraot : Edwin Crossley-Mercer ; la Haine : Anas Séguin ; Aronte/Ubalde : Lysandre Châlon ; Artémidore/le Chevalier danois : Enguerrand de Hys ; Gloire/Sidonie/Lucinde/la Bergère : Florie Valiquette ; Sagesse/Phénice/Mélisse/la Nymphe : Apolline Raï-Westphal : l’Amant fortuné : Abel Zamora. Mise en scène : Lilo Baur ; chorégraphie : Cláudia de Serpa Soares ; décors : Bruno de Lavenère ; costumes : Alain Blanchot ; lumières : Laurent Castaingt. Chœur de chambre Les Éléments, Les Talens lyriques, dir. Christophe Rousset. Opéra Comique, 17 juin 2024. Représentations suivantes : les 19, 21, 23 et 25 juin.