Bruxelles – La Monnaie jusqu’au 22 décembre 2013

HAMLET d’Ambroise Thomas

Noirs éblouissements de la renaissance d’un grand opéra

 HAMLET d'Ambroise Thomas

Sans doute faut-il à la fois de l’audace et du flair pour lancer à l’heure des sacro saintes fêtes de d’année la nouvelle production d’une œuvre oubliée du répertoire lyrique. Peter de Caluwe, patron de la Monnaie de Bruxelles a eu ce culot et a relevé le défi. Hamlet d’Ambroise Thomas confié à Marc Minkowski et Olivier Py, les duettistes qui sur cette même scène avaient signé la superbe résurrection des Huguenots de Meyerbeer (voir WT 2837 du 14 juin 2011), renait à son tour en beauté nocturne et remporte tous les suffrages.

Gérard Condé dans le programme rappelle la réflexion désabusée d’Emmanuel Chabrier : « il y a trois sortes de musiques, la bonne, la mauvaise et celle d’Ambroise Thomas ». Voulait-il dire qu’elle n’est ni l’une ni l’autre ou les deux à la fois ? A l’entendre on opterait pour le mélange des genres. On y passe de la grandiloquence à l’intimisme avec des mélancolies en guise de point de rupture. Aux morceaux pompiers, fanfares martiales succèdent des duos – Hamlet et Gertrude, sa mère -, des arias solistes de délicates subtilités, et même, événement inédit à l’époque, l’intrusion d’un émouvant solo de saxophone. Thomas habille les solitudes, leur invente des atmosphères théâtrales. Et Hamlet, même détourné et arrangé par Michel Carré et Jules Barbier, reste avant tout le héros de Shakespeare le plus célèbre et le plus célébré.

Dans leur version, tout est un peu moins pourri dans le royaume du Danemark. Hamlet n’assassine plus par erreur Polonius le père de son Ophélie, Claudius, le meurtrier de son père, l’amant de sa mère, se repent de ses erreurs avant de succomber, et le prince, dans la version originale de 1868, pas si fou que ça, a droit à un épilogue heureux. De peur de choquer le public d’outre-Manche, les librettistes et le compositeur lui inventèrent un suicide pour sa création à Covent Garden un an plus tard. A Bruxelles qui a choisi la version première, Minkowski, d’une pirouette, le laisse pourtant rejoindre son Ophélie noyée.

« Etre ou ne pas être, ô mystère » la transcription en français de l’immortelle question rejoint la musique.

Depuis trois mois Olivier Py, ancien directeur de l’Odéon et futur patron du Festival d’Avignon, se livre à un marathon de mises en scène : Alceste et Aida à l’Opéra National de Paris, un Siegfried Nocturne dont il est l’auteur à Genève, enfin Le Dialogue des Carmélites au Théâtre des Champs Elysées qui succède au Hamlet de Bruxelles. Avec des bonheurs divers (voir WT 3845 du 17 septembre et 3878 du 14 octobre 2013 ). Celui de la Monnaie fait partie des belles réussites.

On y retrouve le monde qui lui est familier-toujours en accord avec celui de son décorateur Pierre-André Weitz - dans ce qu’il y a de mieux – un monde noir de briques couleur de suie qui bouge, qui tourne sur lui-même, ses escaliers en pente rapide à la Piranèse sur lesquels les protagonistes jouent parfois aux funambules, des cachots, des souterrains, des tombeaux ouverts, les éclairages savants de Bertrand Killy, ses lumières rasantes où rien ne manque pas même l’incontournable « servante » cette ampoule nue que Py accroche dans toutes ses réalisations comme un talisman. On y retrouve son goût de l’intime porté à l’incandescence freudienne dans le duo Hamlet/Gertrude, le fils et sa mère, leur tendresse mise à nu au sens propre comme au figuré. Et ses détours de gamin farceur, quand, au 4ème acte, il transforme la scène champêtre des paysans en parade de militants aux poings levés agitant des drapeaux rouges.

Stéphane Degout incarne un Hamlet saisissant d’ambiguïté poétique. Acteur à l’élocution parfaite et au jeu halluciné, baryton au timbre nocturne dont la mélancolie peut se briser en éclats rageurs, il joue et chante, comme une seconde nature, ce fou lucide que seule la mort libère du cauchemar de vivre dans un monde corrompu. Face à lui, Ophélie a trouvé en une toute jeune soprano hollandaise, Lenneke Ruiten, la figure parfaite de l’innocence piétinée. Une silhouette d’adolescente aérienne, une voix de cristal poli, velouté, aux aigus vaporeux, presque irréels. Une révélation, à suivre de près. Point de surprise chez Jennifer Larmore, la mezzo- soprano américaine bien connue qui fait de Gertrude un mélange de mère émue et de femme fatale au vibrato aguicheur, ni chez Vincent Le Texier, Claudius claudiquant entre soif de pouvoir, soif de sexe et soif de boissons. Parcours sans faute pour les seconds rôles Till Fechner/Polonius, Remy Mathieu/ Laërte, Henk Neven/Horatio, Gijs Van der Linden/Marcellus et la basse française Jérôme Varnier en spectre glacé du roi assassiné.

Marc Minkowski , fidèle au nuancier de Thomas, fait osciller l’orchestre symphonique de la Monnaie du rêve à la passion avec le goût de l’engagement qu’on lui connaît, la vigueur de ses battues parfois trop serrées et ses temps de pause, si l’on peut dire, où perle la nostalgie.

Hamlet d’Ambroise Thomas, livret de Michel Carré et Jules Barbier, d’après Shakespeare, orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie, direction Marc Minkowski, chef de chœur Martino Faggiani, mise en scène Olivier Py, décors et costumes Pierre-André Weitz, lumières Bertrand Killy. Avec Stéphane Degout (en alternance avec Franco Pomponi), Lenneke Ruiten (en alternance avec Rachele Gilmore), Jennifer Larmore (e alternance avec Sylvie Brunet-Grupposo), Vincent Le Texier, Till Fechner, Remy Mathieu, Henk Neven, Gijs Van der Linden, Jérôme Varnier.

Bruxelles – Théâtre de la Monnaie, les 3, 5, 12, 13, 17, 18, 20 & 21 décembre à 19h, les 6, 8, 10 & 15 décembre à 15h.

+32 2 229 12 11 – www.lamonnaie.be

Photos Hermann et Clärchen Baus

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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