Opéra National de Paris Bastille – jusqu’au 16 novembre 2013

AIDA de Giuseppe Verdi

Verdi en superproduction : quand le grandiose écrase la grandeur…

AIDA de Giuseppe Verdi

Hormis une unique représentation donnée au Stade de France en 2001 en version peplum ultra sonorisée, aucune production d’Aida de Verdi n’avait plus été programmée dans la capitale depuis 1968. Sa résurrection à l’Opéra National de Paris après 45 ans d’éclipse était donc attendue avec impatience. Elle vient enfin d’avoir lieu dans des éblouissements continus d’or et de cuivres astiqués. Renouant avec une quasi tradition de la maison d’opéra parisienne, la première du jeudi 10 octobre fut chahutée par une bronca judicieusement orchestrée.

Huées et sifflements accueillirent Olivier Py, metteur en scène du « sacrilège ». Ce n’est pas nouveau et ce n’est guère déterminant. Ce type de réaction n’a pas empêché certaines réalisations de devenir au fil du temps des classiques incontournables comme ce Faust de Gounod bousculé par Jorge Lavelli il y a 30 ans, cette Katia Kabanova de Janacek signée par le suisse Christophe Marthaler en 2004 ou L’Affaire Makropoulos du même Janacek revisité par l’enfant terrible du théâtre polonais Warlikowski en 2005 et repris en 2013 (pour n’en citer que quelques-uns) (voir WT 403 du 3 novembre 2004, 1150 et 3151 des 1er mai 2005 et 20 septembre 2013…). Et, pour rester dans une sorte de routine, on signalera que la deuxième représentation de cette Aida invectivée se passa dans le calme – à l’exception de deux, trois glapissements isolés.

Il n’est pas sûr cependant que les marques de mauvaise humeur vont conférer à cette production où le grandiose finit par écraser la grandeur – le statut de classique du répertoire.

Aida n’est pas née d’une inspiration spontanée. Lorsqu’en 1869 le vice-roi (khédive) d’Egypte, Ismaël Pacha commande à Verdi, alors en pleine gloire, un hymne pour célébrer l’ouverture du canal de Suez, Verdi décline l’offre. Le sujet ne l’intéresse pas. Grâce à l’intervention de l’égyptologue Auguste Mariette, secondé par Camille du Locle, ami et librettiste de Verdi, celui-ci cède et accepte de mettre en musique la tragédie amoureuse du livret qu’Antonio Ghislanzoni avait tiré des recherches de Mariette. Aida est créé deux ans plus tard pour l’ouverture de l’Opéra du Caire. Le lieu aux dimensions modestes est taillé aux mesures d’une œuvre sensuelle, avant tout intimiste qu’encadrent quelques effets à grand spectacle. Ceux-ci, hélas, avec leurs trompettes triomphales en ont souvent fait la gloire au détriment de l’essentiel, ce pouls qui fait battre les cœurs de deux femmes, Amnéris et Aida, follement éprises du même homme, Radamès.

L’intimité brûlante de leur duel amoureux est ainsi souvent escamotée. Il y a une vingtaine d’années, le metteur en scène allemand Peter Konwitschny en donna une interprétation psychanalytique extrême – tout se passe dans une pièce unique meublée d’un divan – qui fit le tour de quelques grandes maisons d’opéras européennes, notamment à l’Opéra de Flandres à Anvers et à Gand (voir WT 2861 du 4 juillet 2011). La production n’a jamais été présentée en France.

Dire que le parti-pris d’Olivier Py se situe à l’inverse relève de l’euphémisme. L’Egypte pharaonique est mise au placard et remplacée par une Italie en devenir, celle du Risorgimento, du siècle de Victor Emmanuel Rei d’Italia, une Italie guerrière gonflée par le gigantisme des décors de Pierre-André Weitz, l’habituel complice de Py, ses échafaudages, ses galeries suspendues, ses miroitements aquatiques, ses néons en sous-sol, et la rutilance de ses ors, cuivres et bronzes qui viennent chatouiller les yeux des spectateurs. Les idées d’Olivier Py se suivent à un rythme d’enfer, chaque scène, chaque plan véhicule un point de vue, une allusion. Allusion à la guerre avec ses soldats en treillis, son tank, ses armes et ses morts. Allusion à la politique avec ses manifestants brandissant des banderoles xénophobes et nationalistes. Allusion à l’emprise envahissante des religions avec le culte d’Isis détourné vers un christianisme perverti par le Ku Klux Kan. La beauté esthétique de certains effets est indéniable, comme cet Arc de Triomphe flamboyant sous lequel la victoire est dansée par une ballerine en tutu tandis que dans les soubassements s’entassent les cadavres.

A se laisser imprégner par la douceur des pianissimos qui ponctuent d’un bout à l’autre la partition, on se dit que tout cet étalage de luxe se trouve dans un sacré décalage avec la musique, même si celle-ci, au deuxième acte, fait éclater les triomphales trompettes de cette marche que tout le monde a dans les oreilles.

Double distribution pour les trois rôles principaux. A Marcelo Alvarez, Luciana d’Intino et Oksana Dyka succèdent Robert Dean Smith (Radamès), Elena Bocharova (Amnéris) et Lucrecia Garcia (Aida). Le premier, ténor américain, manque à ce point de charisme et de projection que son premier grand air « Celesta Aida », généralement acclamé passe pour ainsi dire inaperçu. Il s’améliore cependant de scène en scène, gagnant en fermeté et en couleurs. La mezzo-soprano russe Elena Bocharova dote la jalouse Amnéris d’une présence habitée et d’un timbre aux graves chaleureux. Pour sa première apparition sur la scène de l’Opéra de Paris, la jeune vénézuélienne Lucrecia Garcia, soprano sensible apporte une vraie grâce au rôle-titre. La basse Roberto Scandiuzzi campe un Ramfis de vieille noblesse, le baryton Sergey Murzaev met de l’électricité dans les exaltations revanchardes d’Amonasro.

Le bonheur est dans la fosse. Philippe Jordan a tout saisi des finesses verdiennes, ses raffinements, ses ruptures. Il y met autant d’énergie que de subtilité, passant au naturel des mélancolies poétiques à la nervosité des cadences martiales. Avec le chœur toujours à son niveau d’excellence, il est la vedette incontestée, incontestable de cette Aida enfin sortie de l’oubli.

Aida de Giuseppe Verdi livret d’Antonio Ghislanzoni d’après Auguste Mariette. Chœur et orchestre de l’Opéra National de Paris direction Philippe Jordan, chef de chœur Patrick Marie Aubert, lise en scène Olivier Py, décors et costumes Pierre-André Weitz, lumières Bertrand Killy. Avec Lucrecia Garcia (en alternance avec Oksana Dyka), Elena Bocharova (en alternance avec Luciana d’Intino), Robert Dean Smith (en alternance avec Marcelo Alvarez), Roberto Scandiuzzi (et Alexei Botnarciuc le 25 octobre), Carlo Cigni, Sergey Murzaev, Oleksiy Palchykov, Elodie Hache .

Opéra Bastille les 10, 12, 15, 25, 29 octobre, 2, 6, 9, 12, 14, 16 novembre à 19h30, le 20 octobre à 14h30.

08 92 89 90 90 - +33 1 72 29 35 35 – www.operadeparis.fr

Photos Elise Haberer

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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