Thérapie sur cintre
Une parole pour le théâtre
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- 29 août
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Parmi les romans qui ont précédé la rentrée et continuent leur carrière dans l’abondant peloton des livres de l’automne, Thérapie sur cintre de Jean-Charles Rosier se détache sans effort dans la catégorie des singuliers les plus abracadabrants. Epaulé par Francis Bacon (une de ses peintures s’affiche en couverture), le romancier imagine les confessions d’un homme qui se mue en… cintre. Au gré d’une métamorphose qui concurrence haut la main celle, célèbre, qu’imagina Kafka, le narrateur se transforme en cet objet torsadé qu’on utilise pour suspendre nos vêtements. Un homme-cintre peut-il continuer de penser puisqu’il n’est plus qu’une tige en ligne courbe ? Mais oui, chez Jean-Charles Rosier, pas de problème : l’homme objet se retrouve dans la penderie d’un psychanalyste un peu crapuleux qui se fait appeler Sigmund Fraud et garde toute sa conscience lorsqu’il assiste aux séances de déballage de divers clients sur le divan, une femme aux abois, un obsédé de l’opéra, un maniaque voyant le monde à travers Aristote… Tout cela finira par une histoire d’amour. Non, l’amour finit avant les dernières pages du livre, mais tout aura été possible dans cette vie de porte-manteau.
Jean-Charles Rosier, grand journaliste, est un admirateur de Beckett, qu’il salue d’ailleurs dans l’ouvrage comme l’une des bombes qui ont explosé dans sa tête quand il était gamin. On peut le ranger parmi d’autres écrivains : Raymond Roussel, Valère Novarina, Jean-Paul Farré, Ghérasim Luca… Ces bricoleurs de l’impossible concassent à la fois le langage et la réalité avec une dynamite très culturelle. Dans les mots de Rosier, il y a toute la connaissance du langage politique contestataire, des philosophes iconoclastes, du diagnostic de nos sociétés par les sciences humaines. C’est donc un jeu de l’esprit et du verbe en fête, tout au long d’un récit au burlesque cérébral sans élitisme mais référentiel à la façon d’un Woody Allen. La jonglerie des mots (un exemple : le personnage conseille au psy de se faire « encirculer ») et le rebond fiévreux des syllabes donnent le rythme. Le plus fort de ce livre en forme d’exploit est d’être écrit à la première personne sans jamais que soit utilisé le pronom « je ». Le moi est réduit à si peu de chose qu’il disparaît grammaticalement !
Pourquoi parler de Thérapie sur cintre dans une rubrique théâtrale ? Parce que cette parole bondissante, railleuse, flagellante, appelle l’acteur et le public amoureux des voix hautes. D’ailleurs, quand le livre a fait l’objet d’une première signature par l’auteur à la librairie Tschann à Paris, des extraits ont été lus par la comédien Didier Flamant. Et cela crépitait. Avis aux aventuriers de la profération fracassante ! Il y a, en France, beaucoup d’acteurs à l’envergure adéquate. Rêvons qu’entre en scène le cintre de Rosier !
Thérapie sur cintre de Jean-Charles Rosier. Préface de Pierre Caye, postface de Paul-Henri Moinet. Editions Le Temps des cerises, 150 pages, 18 euros.
Photo : Jean-Charles Rosier (DR).