Tantine et moi

Je viens te voir mourir

Tantine et moi

Cette pièce, de Morris Panych, a quelque chose d’effroyablement roublard. Mais, disons-le sans détour, c’est avec maestria que l’équipe qui signe sa version française en a surmonté les pièges : Michel Blanc pour l’adaptation, Stephan Meldegg pour la mise en scène et surtout l’inattendu et captivant duo d’interprètes que constituent Francis Perrin et Monique Chaumette.
Kemp débarque chez sa tante. Il ne l’a pas vu depuis 35 ans mais elle vient de lui écrire - ce qu’elle n’a pratiquement jamais fait auparavant - pour lui annoncer qu’elle est malade, "en phase terminale". Tous deux se détestent souverainement seulement, ce qu’ils ne peuvent ignorer, c’est qu’ils sont les seuls survivants d’une famille pour le moins croquignolesque.

Chargé de toute la rancune du monde

Kemp est, pour le moins, un type étrange, définitivement associal et violemment misanthrope. Ses traumatismes d’enfance, entre un père magicien suicidaire et une mère alcoolique qui voulait en faire une fille, ne sont certes pas étrangers à cette psychologie malsaine. Et cette tante si lointaine n’a rien fait pour le sortir de son enfer familial. S’il a répondu à son appel, c’est donc pour se livrer à une sorte de danse du scalp, pour lui infliger une ultime et macabre cérémonie expiatoire, peut-être aussi pour récupérer son héritage, même si ce n’est manifestement pas l’essentiel. Le voici donc chargé de toute la rancune du monde. Pourtant, rien n’est vraiment simple, et cette haine qu’il exprime en toutes circonstances, cette manière de rappeler à la vieille femme qu’il est temps qu’elle trépasse, dissimule peut-être aussi un pathétique appel au secours, la recherche désespérée de cette simple et déroutante marque d’affection dont il a toujours été privé.

Des acteurs impressionnants et bouleversants

Une des caractéristiques de cette pièce, faite d’une succession de tableaux plus ou moins brefs, c’est qu’il s’agit d’un dialogue totalement déséquilibré. Kemp parle et sa tante, elle, ne dit rien ou presque. On conçoit la difficulté pour les interprètes. L’un doit maintenir l’attention et la tension en rythmant le soliloque, l’autre, qui ne quitte pratiquement pas son lit de malade, n’en est pas moins pleinement présente dans le dialogue, même si elle ne s’exprime que par regards et autres mimiques, à peine par les gestes. À ce jeu-là, Francis Perrin, qui a tout de l’acteur ayant acquis maîtrise et maturité, et Monique Chaumette, capable de s’imposer par sa seule présence, sont à la fois impressionnants et bouleversants. Les répliques, ce qui ne gâche rien, distillent avec une précision d’orfèvre un savant mélange de perversité, de cruauté et de désespérance. Quant à la mise en scène, elle se conjugue intelligemment sur le mode de la sobriété, ajoutant ici où là quelques petites idées astucieuses, comme autant de ponctuations pour souligner la gravité et l’ironie du propos. Ajoutons, en prime, un rebondissement final que je vous mets au défi de deviner - raison évidente pour ne pas le dévoiler - et qui relance efficacement le récit. Ainsi, on rit parfois, on ne décroche pas un seul instant et on sort de ce spectacle avec un sentiment d’admiration pour la performance teinté d’effroi face à une vision du monde tellement amère qu’elle est probablement lucide.

Tantine et moi, de Morris Panych, adaptation de Michel Blanc, mise en scène de Stephan Meldegg, avec Francis Perrin et Monique Chaumette. Théâtre La Bruyère. Tél 01 48 74 76 99.

A propos de l'auteur
Stéphane Bugat

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