Rentrée 42 de Scotto & Lemaire

Boulevard de la bonne conscience

Rentrée 42 de Scotto & Lemaire

Il y a quelque chose d’intrigant d’assister à une pièce à thèse aux allures de comédie de boulevard et surjouée en permanence par des acteurs sans cesse gesticulant, vociférant, grimaçant. Alors que le sujet est profondément politique : la nécessité pour un pays de faire bloc contre une idéologie qui bafoue les droits de l’homme les plus élémentaires.

Le contexte est celui de la rentrée des classes de l’enseignement primaire à Paris en manque d’écoliers puisque la fameuse rafle du Vel’d’Hiv en juillet 1942 a envoyé vers les camps de concentration et d’extermination une majorité d’enfants juifs et leurs parents. Une école du 11e arrondissement essaie d’organiser les cours en dépit des absents.

Pour mettre en place les éléments de leur démonstration de la nécessité d’une union nationale contre le régime de Vichy, Scotto et Lemaire ont choisi des personnages typés à l’extrême. Un concierge, héros rescapé mutilé de la guerre 14-18, patriote intégralement anti-teutons. Une directrice d’école adepte d’une neutralité éducative et soupçonnée d’être lesbienne. Une jeune universitaire, financièrement très à l’aise, fille choyée d’un industriel prospère qui poursuit sa production lucrative de chocolat sous-l’œil bienveillant des occupants. Une deuxième institutrice bobonne, conformiste, influençable, émotionnellement instable, naïve bonne samaritaine, dépolitisée prête à approuver tout le monde. Une autre, communiste militante, adepte inconditionnelle convaincue de la résistance.

Et, pour compléter ce tableau où les confrontations sont dramaturgiquement inévitables, la présence invisible d’une dernière enseignante, d’origine juive et prosélyte d’une pédagogie d’avant-garde, bien entendu absente parce que disparue. Enfin, élément nécessaire à déclencher le nœud de l’intrigue : un inspecteur représentant de l’autorité gouvernementale et donc sbire du pouvoir en place, borné, tyrannique, arrogant et, par conséquent aussi, macho.

Le décor ne pouvait être que réaliste, de quoi attendrir les nostalgiques du passé. Il l’est à tous détails prés. La mise en scène de Lemaire amène les interprètes à surjouer physiquement et vocalement. Hormis Anne Richard, la directrice, qui s’en tire avec sobriété, les autres ne cessent d’en rajouter, d’en faire des tonnes avec une prime à l’outrance pour l’inspecteur réactionnaire, au point pour celui-ci de devenir imbuvable. Cela tombe bien d’ailleurs puisque l’équipe pédagogique décide de le faire taire en le prenant en otage…

Cette accumulation caricaturale enlève une part non négligeable du crédit des personnages. Le comble du grotesque étant atteint au moment de saucissonner (avec des cordes à sauter de gamines) le fonctionnaire ultra, ce qui provoque les rires au lieu de l’aversion. Le ridicule invraisemblable trouvant son apogée dans l’agonie et la mort du tyran.

Nous voici près de la fin du spectacle. Ce décès farfelu stimule l’union sacrée, immédiate, miraculeuse, abolissant tous les conflits de classe, d’ego, de culture, y associant même la collègue disparue. Comment finir comme on a débuté ? Une seule solution alors que la représentation avait commencé par un succès de Maurice Chevalier, « Ça sent si bon la France » : chanter en chœur, debout à l’avant-scène, main dans la main, une vibrante ‘Marseillaise’ en laissant éventuellement la salle la reprendre à l’unisson. Et, geste ultime, notre concierge à tout faire, médaillé, sort de sa poche un carré de tissu tricolore qu’il agite. En oubliant que c’est dans ce mouchoir patriotique qu’il ira, tout à l’heure, se moucher.

Sans doute le Président de la République appréciera-t-il cette propagande culturelle en ce moment trouble de l’Histoire où l’extrême droite prospère, où la nation française est de plus en plus divisée sur d’importants faits sociétaux et réformes attendues.

Durée : 1h35
07>29 juillet 2023 Festival Off d’Avignon La Luna 16h50

Distribution : Anne Richard, Isabelle Andreani, Fanny Lucet, Dominique Thomas, Michel Laliberté
Mise en scène : Xavier Lemaire
Décors : Caroline Mexme
Costumes : Christine Vilers
Lumières : Didier Brun
Musique : Philippe Bozo
Production : Marilu
Photo © Alejandro Guerrero
Lire : Pierre-Olivier Scotto, Xavier Lemaire, « Rentrée 42 Bienvenue les enfants », Paris, L’Harmattan, 2023, coll. La Luna, 116p. (10€)

A propos de l'auteur
Michel Voiturier
Michel Voiturier

Converti au théâtre à l’âge de 10 ans en découvrant des marionnettes patoisantes. Journaliste chroniqueur culturel (théâtre – expos – livres) au quotidien « Le Courrier de l’Escaut » (1967-2011). Critique sur le site « Rue du Théâtre » (2006-2021)....

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