Du 25 janvier au 2 février 2024 à la Comédie de Colmar.
Phèdre de Racine par Matthieu Cruciani.
Mise en scène osée d’un classique au goût de la violence des temps.
Comment redonner un coup de fouet à nos classiques, tel Phèdre (1677) de Racine, que les jeunes générations qui se succèdent voient souvent comme un passage obligé mais éloigné d’eux ? Matthieu Cruciani - directeur de la Comédie de Colmar - CDN Grand Est Alsace - a pris le Minotaure par les cornes, créant une version contemporaine animée de figures quotidiennes réalistes. Surprenants sont les coups de colère exaspérés et malséants - cris et vociférations.
Revenons à la fable : le roi athénien Thésée, disparu sans délai du palais de Trézène, délaisse son épouse saisie d’un mal secret. Phèdre avoue à sa nourrice OEnone, aimer d’un amour interdit Hippolyte, le fils de Thésée. A travers la figure de la fille de Minos et de Pasiphaé, le personnage du titre éponyme représente une énigme féminine, emblématique de la passion amoureuse.
Histoire intime et universelle des effets meurtriers d’un désir empêché quand l’objet de la passion est interdit. Aveux et confidences intérieures, entre douleur éprouvée et fausse consolation rêvée.
Combattant cette attirance incestueuse, la reine clairvoyante n’aspire qu’à disparaître. De son côté, le prince - farouche et solitaire Hippolyte - s’apprête à fuir le palais, avouant à son confident Théramène aimer Aricie, la princesse athénienne otage de Thèsée et captive interdite.
Troubles, exaltations et empêchements dus à la soumission - la sujétion incontrôlable du désir -, et l’ardeur passionnelle emporte tout, telle la flamme d’une traînée de poudre. Dire ou ne pas dire, selon Barthes, mais rien ne va plus, dès que l’amoureuse éplorée, sous les instances de sa suivante, ose l’inavouable : « C’est toi qui l’as nommé », dit Phèdre à Oenone citant Hippolyte.
La parole insidieuse échappée court sans retenue vers son destin fatal. Le palais est abandonné : gît une couche sommaire pour le fils, qui se désennuie en tirant à l’arc ses flèches fichées sur leur cible, ou chevauchant dans la forêt, rappel de la force virile paternelle qui a su vaincre le Monstre.
Puis, à l’enfermement solitaire d’Hippolyte et aux échanges privés entre Phèdre et sa confidente, dans l’ombre recherchée, succède l’ouverture d’un lointain de lumière, telle la résolution fausse des conflits intérieurs, avant que l’action ne s’emballe jusqu’au dénouement tragique, quand revient Thésée cru mort : apparaît une terrasse de villa grecque, avec vue maritime panoramique.
Phèdre veut en finir, écartelée entre la faute gardée sous silence et le besoin d’épanchement. Le metteur en scène Matthieu Cruciani, privilégie l’expression réaliste de ces relations contrastées.
Des confrontations de violence et d’agressivité - des manifestations du malaise existentiel - qui en s’extrayant de la bienséance classique, correspondent à l’atmosphère féroce des échanges de notre temps, à leur impatience agitée et leur violence - des affrontements furieux et impétueux.
Notamment, du côté des hommes, le pouvoir viril de Thèsée contre son fils qu’il croit parjure.
Thomas Gonzalez incarne un Fils d’Egée satisfait et sportif - musculature et slip blanc. Face à lui, Maurin Ollès est un Hippolyte aimant et vertueux, héritier qui se laisse rabrouer par le père altier. Philippe Smith est Théramène, sage et visionnaire, qui fait le récit des malheurs du jeune homme.
Ambre Febvre interprète une Aricie à la sensibilité à fleur de peau, à la fois fébrile et mesurée. Quant aux suivantes, OEnone, Ismène (Lina Alsayed), et Panope (Jade Emmanuel), ce sont des présences attentives - équilibre et raison -, au service dévoué de leur maîtresse respective.
Et Phèdre, icône de la souffrance éprouvée de celle qui n’est pas aimée, est admirable de dignité et de délicatesse, au coeur même de ses paradoxes et de ses troubles non maîtrisés. L’intense Hélène Viviès incarne - expressivité réactualisée -la victime mythique sombre d’un amour cruel.
Un spectacle tendu de vivacité, attisé encore par la diction admirable des fameux alexandrins raciniens, comme si on découvrait à chaque vers enjambé la teneur subtile non seulement du sens mais du lyrisme musical, via une parole féminine explorant les arcanes des mystères existentiels.
Phèdre de Jean Racine, mise en scène de Matthieu Cruciani, scénographie Nicolas Marie, création musicale Carla Pallone, costumes Pauline Kieffer, création lumières Kelig Le Bars. Avec Lina Alsayed, Jade Emmanuel, Ambre Febvre, Thomas Gonzalez, Maurin Ollès, Philippe Smith, Hélène Vviès. Du 25 janvier au 02 février 2024, mardi et jeudi 19h, mercredi et vendredi 20h, samedi 18h, relâche les 28 et 29 janvier à la Comédie de Colmar - CDN Grand Est Alsace (Haut-Rhin), 6 rue d’Ingersheim 68000 - Colmar. Les 7 et 8 février 2024, Les Scènes du Jura - Scène nationale, Lons-Le-Saulnier (Jura). Du 13 au 16 février 2024, Théâtre Olympia, CDN de Tours (Indre-et-Loire). Du 7 au 17 mars 2027, Les Gémeaux, Scène nationale de Sceaux (Hauts-de-Seine).
Crédit photo : Simon Gosselin.