Maison culturelle Ath (Be)

Paying for it

La prostitution en son humanité

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Pour parler de la prostitution, les émissions télévisées de documentaires ou d’investigation demandent à des gens de terrain un témoignage de leur vécu. Au cinéma et au théâtre, on raconte des histoires inventées par des écrivains. Ici, une troupe adopte le point de vue des témoins en jouant ce qu’ils auraient pu dire.

Afin de donner voix et présence à la réalité vécue, le théâtre document mime le réel en reprenant une parole originelle plus ou moins réécrite jusqu’à parvenir à la plus parfaite illusion qu’il ne s’agit pas de rôles interprétés mais bien de personnes ayant accepté de se confesser en public. Cela crée une impression d’autant plus étrange que lorsque l’interprétation est bonne cette pratique suscite une atmosphère décalée à cause de cette ambiguïté fondamentale.

La recette est au point. Installés autour d’une longue table, des individus attendent dans des postures et des costumes variés tandis que le public prend peu à peu place. Un comédien (Raven Ruëll) – il se présente comme tel – se met à raconter le travail fourni par la troupe. Il le fait avec un surjeu de commedia dell’arte qui ne craint pas d’en rajouter dans un burlesque assumé. Nous sommes au théâtre.

Tout bascule lorsque les autres protagonistes sont présentés et déclinent leur identité : prostitué(e)s de bas quartiers ou de grand luxe, chercheur universitaire, flic, assistant(e)s sexuel(le)s pour handicapés, transgenre, client(e)… Le ton change. Chacun(e) parle avec des voix de quotidien, sans effets apparents et ses attitudes sont celles de madame-monsieur tout-le-monde. Au fur et à mesure, la certitude d’être dans une salle de spectacle s’atténue. Le spectateur voit et entend des personnes et non plus des personnages.

Différents aspects de la prostitution sont abordés. Autant par le biais d’anecdotes que de statistiques ou autres références sociologiques. Essentiellement, il s’agit d’aborder ce phénomène sociétal éternel en tant que profession, une profession non reconnue officiellement, plaçant les gens qui la pratiquent à la marge de certaines lois et d’une protection sociale normale.

Ainsi s’élabore une description d’un métier connu essentiellement à travers des préjugés, des images stéréotypées issues de la littérature ou de la chanson voire de faits divers à relents de scandale. Apparait alors la portée sociale de la fonction des personnes dont le corps est matière et instrument de leur travail. De quoi se rendre compte de la nécessité d’une législation mieux adaptée pour les citoyen(ne)s dont c’est le gagne-pain. La démonstration est pertinente. Même si elle se contente de seulement effleurer le volet le plus apparent, celui de la prostitution subie, des violences et des trafics inhumains.

L’interprétation est bluffante. Oublié, le théâtre ; intégrée, la réalité. Mais, puisque nous sommes face à un spectacle, la troupe qui ne s’occupe pas de propagande, a utilisé une astuce théâtrale en vue de remettre à distance la simple émotivité du spectateur. C’est l‘apparition récurrente d’une comédienne incarnant, pose et costume à l’appui, la célèbre statue de Degas d’une jeune ballerine de 14 ans à l’Opéra de Paris au XIXe siècle, ‘petit rat’ dont l’âge tendre excitait la libido de bourgeois d’âge mûr prêts à payer pour en avoir la disposition. L’image est forte. Et le peu de paroles alors proférées sont d’une cruelle évidence.

Théâtre document
Durée : 120 minutes

Mise en scène La Brute : Jérôme De Falloise, Raven Ruëll, Anne-Sophie Sterck
Écriture, jeu : Jérôme De Falloise, Raven Ruëll, Anne-Sophie Sterck, Martin Panel, Ninuccia Berthet, Julie Peyrat, Gabriel Bideau, Marion Gabelle, Ninon Borsei, Martin Rouet

Accompagnement dramaturgique : Sonia Verstappen –
Création son, musique en direct : Wim Lots
Création lumière, régie générale : Nicolas Marty
Régie son : Julien Courroye
Costumes, scénographie : Marie Szersnovicz
Assistanat à la mise en scène : Coline Fouquet
Production : Catherine Hance, Aurélie Curti, Laëtitia Noldé
Création ; Studio Théâtre National Wallonie-Bruxelles

Production : Wirikuta ASBL
Coproduction : La Brute ASBL, Théâtre National Wallonie-Bruxelles, Théâtre Jean Vilar (Vitry-sur-Seine), La Coop ASBL, Shelter Prod
Aides : Taxshelter.be, ING & tax- shelter du Gouvernement fédéral belge
Soutien : COCOF, SACD, Tournées Art et Vie
Prix Maeterlinck pour l’écriture collective : Meilleur auteur/Meilleure autrice

Au festival d’Avignon, 07-28 juillet, 21h 30 Théâtre des Doms (relâche 12 / 19 / 24 juillet) . Avignon Off

En tournée : www.wirikuta.be/paying-for-it/

Photo © Hubert Amiel

A propos de l'auteur
Michel Voiturier
Michel Voiturier

Converti au théâtre à l’âge de 10 ans en découvrant des marionnettes patoisantes. Journaliste chroniqueur culturel (théâtre – expos – livres) au quotidien « Le Courrier de l’Escaut » (1967-2011). Critique sur le site « Rue du Théâtre » (2006-2021)....

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