Du 1er au 31 mars 2024 au Théâtre de La Tempête.

Nora, Nora, Nora ! d’après Ibsen par Elsa Granat.

Le regard de l’homme sur la femme mis à la question.

Nora, Nora, Nora ! d'après Ibsen par Elsa Granat.

Tout commence en bousculant les attendus, par le déboulonnage - la mythologie inversée des figures iconiques de la littérature et du théâtre -, d’Henrik Ibsen que des activistes en combinaison de protection souillent de blanc - figure masculine désuète et défigurée.

La metteuse en scène Elsa Granat se penche avec bonne humeur, moquerie et une once de rage bien sentie, sur Maison de poupée (1879) du Norvégien Henrik Ibsen, pièce dite féministe selon la tradition du XIX è siècle - bel oxymore.

Tel est le regard d’un homme sur la condition féminine - un discours sur la réalité de l’autre moitié asservie de l’humanité. L’héroïne Nora est la première femme émancipée du théâtre européen, une liberté gagnée au prix de l’abandon de son foyer, et les enfants demandent des comptes aujourd’hui : « (…) , le bruit de la porte claquée à la fin s’est répercuté dans les consciences sous toutes les latitudes, même dans les pays où il fut, dans un premier temps du moins, soigneusement amorti…. En Allemagne, en Angleterre, en Belgique, Nora se ravisait et renonçait de justesse. Mais la menace qu’elle le fit suffisait à ébranler les consciences ». (Ibsen par Jacques De Decker, Folio, Gallimard, 2006)

Nora est inspirée par Laura Kieler, une femme de lettres amie d’Ibsen qui a vécu cette histoire, et que son mari a fini par faire interner. Une vie dont se préoccupait Suzannah Ibsen - un monde d’hommes qui s’opposerait irréconciliablement à celui des femmes.

L’auteure et conceptrice imagine les enfants de Nora, adultes qui viennent de perdre leur père et sont à la recherche de leur mère enfuie qu’ils n’ont jamais revue, résidant dans un Ehpad, en compagnie de Linde, sa meilleure amie. La femme âgée ne peut plus rien expliquer, scandaleuse à l’époque par cette audace de se défaire de la garde des enfants. La libération de la mère produirait-elle l’aliénation de ses fils et filles, leur enfermement - abandon et désamour- dans le cercle infernal d’une souffrance latente dont on ne sort pas.

Or, la prise de conscience, l’éveil à soi de Nora, n’advient qu’à la toute fin, elle qui s’est, à l’insu de son époux, arrangée pour organiser un séjour à Naples salutaire pour le malade. Elle emprunte, signe un faux en écriture, et celle qui se sacrifie arrive à ses fins : paradoxe d’abnégation face à la loi patriarcale ancestrale interdisant à la femme de manier l’argent.

Le « petit oiseau », l’« alouette », le « petit écureuil » - sobriquets du mari - se retrouve, par-delà les générations, sans pouvoir expliquer plus clairement son geste et sa décision. 
Elsa Granat a dirigé le spectacle de sortie de l’ESAD - école supérieure d’art dramatique, Paris -, un spectacle d’insertion des troisièmes années, un atelier de création, avec quatorze comédiens qui jouent en alternance, Nora, Nora, Nora !, inversant le processus de destruction du rôle-titre éponyme, devenue senior observatrice de son histoire.

Les enfants, tant bien que mal, finissent par comprendre la situation maternelle endurée, en l’interprétant, l’incarnant, la re-vivant intimement, tourbillonnant d’une époque à l’autre, jouant les scènes dans l’alternance des interprètes, qui s’échangent les rôles - verve et talent-, heureux d’en découdre avec la scène, les personnages, et les spectateurs en face.

Allégresse et dynamisme, bonheur de jouer - colères, révoltes et hurlements féminins, usage des cartons rouges quand on manque de respect significatif à l’autre. Elan, enthousiasme, loin des finesses, la mise en scène est une salle de jeux où l’humour et la dérision emportent haut la mise.

Nora Nora Nora ! De l’influence des épouses sur les chefs-d’oeuvre, d’après Une maison de poupée d’Henrik Ibsen, texte et mise en scène Elsa Granat, collaboration à la dramaturgie Laure Grisinger, assistanat à la mise en scène Zelda bourquin, avec en alternance Maëlys Certenais, Antoine Chicaud, Hélène Clech, Victor Hugo Dos Santos Pereira, Niels Herzhaft, Chloé Hollandre, Juliette Launay, Anna Longvixay, Clémence Pillaud, Luc Roca, Lucile Roche, Clément-Amadou Sall, Juliette Smadja et deux actrices amatrices Gisèle Antheaume, Victoria Chabran, scénographie Suzanne Barbaud, lumières Vera Martins, son Mathieu Barché, approche chorégraphique de la tarentelle Tullia Conte, Mattia Doto. Du 1er au 31 mars 2024, du mardi au samedi 20h30, dimanche 16h30, Théâtre de la Tempête Cartoucherie – Route du Champ-de-Manœuvre 75012 Paris www.la-tempete.fr. Tél : 01 43 28 36 36.

Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage.

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Véronique Hotte

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