’Nexus’ de l’Adoration de Joris Lacoste

Rituels potentiels pour changer un monde inchangeable

'Nexus' de l'Adoration de Joris Lacoste

Nexus a pour signification ‘ensemble complexe’ mais aussi ‘lien et connexion centrale’. Indication préalable à la représentation de l’œuvre de Joris Lacoste. Un groupe d’adeptes se rassemblent afin de dénombrer ce que contient le monde terrestre en vue de le changer. Telle est l’utopie qui nourrit cette pièce insolite.

Racolez une dizaine de comédiens ou de poètes ou de citoyens d’âges et d’origines différents. Rassemblez-les durant un week-end pour pratiquer en atelier d’écriture des sortes d’inventaires à la Jacques Prévert. Un peu plus tard, proposez-leur un nouveau huis clos pour égrener des « j’aime » ou des « j’adore ». Ensuite ce sera des « je me souviens », un peu plus détaillés que ceux de Georges Perec. Éventuellement, complétez au moyen de listes d’événements susceptibles d’être énoncés aux sommaires de journaux radiodiffusés ou télévisés…

Vous aurez alors obtenu la trame de ce spectacle cérémoniel dédié aux mots, explorateur poétique de notre univers de connaissances, de possessions, de consommations, de réflexions, de foisonnements, de dérives. Cette riche matière hétéroclite laissera percevoir le fait qu’elle est sonore, donc musicale. Topez là. Vous avez de quoi monter une comédie chantable.

Vous réfléchissez seul ou à plusieurs à des costumes. Tous comptes faits, vous optez pour des espèces d’hybridités polychromes réjouissantes, hors de toute hiérarchie sociale et détachées de toutes les modes. Ce sera bariolé mais non genré. Pour corser le tout, vous faites passer, par intermittences, les voix des protagonistes via un vocodeur qui rendra mystérieuse leur parole. Chacun est égal aux autres. En alternance, discours et gestuelle. En contrepoint, les muets provisoires sont entrainés dans une mouvance ralentie, hypnotique, presque dépourvue d’énergie.

Leurs déplacements s’avèrent chorégraphie. Parfois chaque soliste a des accointances avec quelqu’un(e) d’autre. Il arrive aussi que cela ressemble à un ballet ou à une comédie musicale. Mélodies ou événements sonores se mêlent, évoluent. Chaque personne pour soi. Avec par intermittence des harmonies ou des distorsions.

Les mots progressent dans cet ensemble. C’est la matière accumulée : litanie d’objets, de faits, de personnages ; succession de ressentis positifs ; liste d’objets usuels de consommation ; surgissement anecdotique de souvenirs ; bribes de chanson ou d’événements politiques… Des rires ici ou là dans la salle devant l’absurde, le ridicule, la détente nerveuse.

Ce qui se voit sur le plateau est esthétiquement parfait. Tous les corps assument des mouvements maîtrisés, calculés. Toute réplique ou monologue est dite avec la conviction de l’acteur conscient du rôle interprété. L’environnement sonore varie ses rythmes et ses modulations. Il s’en dégage une sorte de fascination.

Peu à peu cependant, tout ce minutieux travail créatif suscite quelque agacement. Ça n’en finit jamais. Ça devient ce qui revient. Ça reprend, malgré les trouvailles de détails très inventifs, au point de penser que raccourcir le projet lui serait bénéfique, que bon ! cela a assez duré et semble piétiner.

Surgit peu à peu l’idée qu’il s’agit de la farce joyeuse d’une bande de potaches, enrobée d’éclairages, de fumigènes, de technologies. Déjà quelques spectateurs ont fui plus ou moins discrètement. Le trop prend le pas sur l’attention, le plaisir, l’amusement, l’intérêt. L’intention utopique s’enlise dans son inévitable dystopie. Malgré , une fois close la représentation, le clin d’œil voulu malicieux de la tentative de garder encore un peu le public en otage au moyen d’une sorte de faux jeu médiatique.

Restera en mémoire de beaux moments de cohésions, des images intelligentes, une réalisation impeccablement méticuleuse, l’enthousiasme d’une troupe prenant plaisir à se prendre à son propre jeu.

Avignon In 2025
06>09.07.2025 18h
Gymnase du Lycée Aubanel
Durée : 2h30

Conception, texte, musique, mise en scène : Joris Lacoste ; scénographie et lumière : Florian Leduc ; collaboration à la danse Solène Wachter ; collaboration musicale et sonore : Léo Libanga, Carles Urraca ; interprétation, participation à l’écriture : Daphné Biiga Nwanak, Camille Dagen, Flora Duverger, Jade Emmanuel, Thomas Gonzalez, Léo Libanga, Ghita Serraj, Tamar Shelef, Lucas Van Poucke ; son : Florian Monchatre : assistanat mise en scène et dramaturgie Raphaël Hauser ; coaching vocal : Jean-Baptiste Veyret-Logerias ; régie plateau : Marine Brosse, Seydou Grépinet ; production, diffusion : Hélène Moulin-Rouxel, Colin Pitrat (Les Indépendances) ; administration : Edwige Dousset.
Photo © Christophe Raynaud de Lage

En tournée
25-26.09.2025 Le Maillon Festival Musica Strasbourg
04>07.12.2025 MC93 Festival d’Automne Bobigny (Paris)
19 -20.12.2025 Le Lieu unique Nantes
07-08.01.2026 Comédie Festival Transforme Clermont-Ferrand
27.03.2026 La Halle aux Grains Blois
31.02>03.04. 2026 Festival Transforme Théâtre Lyon

A propos de l'auteur
Michel Voiturier
Michel Voiturier

Converti au théâtre à l’âge de 10 ans en découvrant des marionnettes patoisantes. Journaliste chroniqueur culturel (théâtre – expos – livres) au quotidien « Le Courrier de l’Escaut » (1967-2011). Critique sur le site « Rue du Théâtre »...

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