Paris, théâtre Essaïon jusqu’au 2 juillet 2024
Molly ou l’Odyssée d’une femme d’après James Joyce
Pensées et impensé d’une femme du monde
Molly Bloom, un chapitre l’Ulysse de James Joyce qu’on peut découper au couteau à l’intérieur de l’oeuvre, a eu une certaine destinée théâtrale. De nombreuses actrices ont eu l’idée d’y trouver matière à monologue, ou, plus précisément, d’une pièce à un personnage. Hélène Arié arrive à son tour sur ce terrain, tournant le dos à toutes les adaptations précédentes, et imprime sa propre tonalité. Une nuit d’été, à Dublin, en 1904, une femme, Molly, ne parvient pas à trouver le sommeil. C’est une grande bourgeoise, une femme qui a eu une vie libre (elle est mariée pourtant : le mari, qu’on ne voit pas, dort à côté) et pas mal d’amants. Si le texte est surtout un admirable flux désordonné du temps qui passe, il a fait date par sa manière d’évoquer crument la sexualité d’une femme. Joyce y appelle un chat un chat. L’audace de l’auteur n’est plus choquante aujourd’hui mais sa manière de placer le sexe dans la lente valse du souvenir demeure sidérante.
Hélène Arié, que l’on a pu voir dans de nombreux grands rôles du répertoire, est l’une des grandes actrices françaises. Ici, elle assume tout ou presque : elle a fait elle-même la traduction-adaptation du texte, qu’elle joue dans une mise en scène effectuée avec Anthony Cochin. Dans un salon quasi vide (il n’y a qu’un fauteuil et un pouf de couleur rouge), le personnage de Molly s’assied, se lève, se couche, se redresse, tourne en rond, non comme un fauve mais comme un être doux s’alanguissant et flottant dans sa mémoire. De l’appétit sexuel des hommes et de son propre plaisir cette Molly parle tranquillement, sans hausser le ton, dans une innocence charmeuse et charmée. L’heure trouble que nous propose Hélène Arié est fluctuante, tout en courbes et en nuances, d’une musique tendre où les angles semblent arrondis mais n’en sont que plus coupants dans le tournoiement de la ronde. C’est un pastel qui, dans ses couleurs feutrés, a la force d’un grand tableau. On appelle cette façon de jouer la grande classe.
Molly ou l’Odyssée d’une femme d’après Ulysse de James Joyce, traduction, adaptation et interprétation d’Hélène Arié, mise en scène d’Hélène Arié et Anthony Cochin, lumières de Jean-Louis Chanonat, création musicale de Céline Andréani, création son d’Enzo Bodo, costume de Roberto Rosello.
Essaïon, tél. : 01 42 78 46 42, essaionreservations@gmail.com, les lundis et mardis, 21h, jusqu’au 2 juillet. (Durée : 1 h 15).
Photo Franços Vila.