’Les poissons ne meurent pas en apnée’ de Robert-Espalieu
Une piscine municipale teintée phileausophie
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- 14 juillet
- Critiques
- Comédie & Humour
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Deux individus. L’un, extraverti prédisposé à s’imposer, corporellement plutôt envahissant. L’autre, introverti timoré, physiquement longiligne. Faites-les se rencontrer. Inévitablement, l’un tentera de prendre un maximum d’espace et de pouvoir. L’autre, s’esquivera comme il le peut en évitant l’affrontement.
Si le lieu qu’ils fréquentent les amène à se côtoyer, il y a là quelque chose d’inéluctable. D’autant plus s’il s’agit d’un endroit plutôt fermé, en l’occurrence une piscine municipale dans laquelle ils se rendent de façon régulière et disons même récurrente. Voilà la base pour aboutir à une tragédie du style querelle de voisinage susceptible d’en venir à la violence ou pour s’élancer dans une comédie basée sur le rapport dominant-dominé : Auguste et clown blanc, Sganarelle et Don Juan, Scapin et Géronte…
Les deux nageurs arborent chacun un signe qui les différencie l’un de l’autre, leurs bonnets rouge et bleu. Le public ( à qui la troupe a distribué des bonnets colorés) les retrouve dans dix séquences relativement courtes et souvent percutantes. Car il est évident que baser la représentation uniquement sur une relation genre brochet-épinoche aurait été restreindre le pouvoir comique de leur duel permanent.
Empruntant la voie ouverte naguère par Roland Dubillard et ses « Diablogues », l’auteur-metteur en scène embarque ses comparses sur les chemins de l’absurde où mène le langage lorsqu’on s’amuse avec les sens divers portés par les mots parfois les plus anodins jusqu’à se fourvoyer dans une logique dévoyée.
On passera donc d’une saynète à la suivante : par le rêve et ses incongruités fantasmatiques, par les contradictions impossibles à assumer de conduites liées à des idéologies dominantes. Ensuite par des réactions obsessionnelles plus ou moins adductives. Enfin par les effets pernicieux des préjugés stéréotypes liés à des comportements sociaux dérivant vers de l’aveuglement mental aussi bien vers une violence déchaînée.
S’il est difficile de conserver une même puissance de drôlerie d’une scène à une autre, l’ensemble demeure plaisant. Les deux comédiens (Christophe Lemoine, Vincent Paillier) s’avèrent aussi à l’aise dans la gestuelle de leur présence physique que dans la maîtrise d’un texte exigeant, notamment par sa précision et son rythme.
Ils dressent de la sorte un portrait acerbe de l’humain souvent prêt à se laisser emmener vers des gestes personnels et collectifs aux antipodes des valeurs qu’il est censé défendre. Conflits de voisinages ou déclarations de guerre pullulent à suffisance dans l’actualité en tant qu’exemples réels.
Un ‘plouf’ rafraîchissant donc en ces temps de canicule météorologique autant que sociopolitique.
Avignon Off 2025
05>26.07.2025 19h05
Théâtre des Béliers
Texte, mise en scène : Emmanuel Robert-Espalieu ; interprétation : Christophe Lemoine, Vincent Paillier ; musique : Vladimir Kudryavtsev ; scénographie : Jean-Michel Adam ; lumière : Charles Degenève ; costumes : Camille Duflos ; photo © Cie La Belle Equipe ; diffusion : Alexandra Gontard
Lire : Emmanuel Robert-Espalieu, « Les poissons ne meurent pas d’apnée », Paris, Les Cygnes, 2025, 102 p. (14 €)



