Les 13 et 14 février au Théâtre de Lorient -CDN.

Le Colonel des Zouaves d’Olivier Cadiot par Ludovic Lagarde

La transmission réussie d’un rôle pour un spectacle-culte.

Le Colonel des Zouaves d'Olivier Cadiot par Ludovic Lagarde

Le Colonel des Zouaves, deuxième volet de la série des Robinson commencée avec Futur ancien fugitif, est un spectacle culte depuis sa création en 1997 au Théâtre de Lorient, fondateur d’une collaboration artistique active et durable entre le metteur en scène Ludovic Lagarde, l’auteur Olivier Cadiot et le comédien Laurent Poitrenaux.

L’interprétation visionnaire de Laurent Poitrenaux, jouée plus de deux cents fois en France et ailleurs, a été pour l’acteur un acte de naissance à l’art incarné du jeu théâtral, passant par l’écriture exigeante d’Olivier Cadiot, la découverte des voix intérieures du personnage/narrateur bousculé - voix sonorisée de Gilles Grand -, et le travail corporel avec la chorégraphe Odile Duboc.

Le créateur du rôle offre vingt-sept ans plus tard une nouvelle version du spectacle- projet rare de transmission(s), passage de relai d’interprète à interprète, et création toujours singulière du monologue d’Olivier Cadiot. Le jeune et précis Guillaume Costanza jette un pont, d’une génération à l’autre, sous l’autorité de Laurent Poitrenaux, et prend royalement la relève, dans la même salle Marguerite Duras du Théâtre de Lorient, sous l’égide de son directeur éclairé Simon Delétang.

« Je suis domestique. Souple, flexible, adaptable aux désirs du client. Nursering maximal et contrôle de tout. C’est ça l’Art Ménager aujourd’hui. Du travail pur. Et puis un jour ils vous désactivent sans prévenir. Vous y restez ad vitam sans savoir que c’est fini. Ronde de nuit inutile. Plans à jeter. Matériel en trop. Exil volontaire. Célibat forcé. Robinson pour toujours. Très grande forme physique pour rien. »

L’imaginaire burlesque et extravagant du narrateur/majordome Robinson raconte, de façon loufoque et désordonnée, ce qui l’entoure : la nature somptueuse vue et décrite au plus près, entre les herbes à raz de terre, ou le geste du pêcheur qui prépare sa ligne, ou la présence des convives altiers et méprisants du manoir, sans nul regard pour l’homme de maison au service impeccable.

Un récit brodé et ourlé, au fil sûr et solide, et aux phrases rigoureuses, agencées et ordonnancées. Le plaisir d’écoute d’une langue maîtrisée - discours et raisonnement -, comme de ses envolées oniriques, énigmatiques et lyriques : personnage-insecte dans l’herbe, se battant pour sa survie.

Le spectacle-culte donne à voir un sujet - un homme dans sa fonction de majordome particulièrement stylé, façon soldat de plomb ou zouave en admiration devant son colonel….
Le portrait en pied est saisi à l’intérieur d’un cadre lumineux tenu droit sur le plateau - tableau, image photographique avec portrait changeant.

Le domestique zélé oeuvre dans un manoir, hanté par le désir d’améliorer la qualité de son service, tenu par une conscience professionnelle obsessionnelle et compulsive qui l’asservit et le contraint. Complaisance paradoxale à la perte de soi via des métamorphoses continuelles où l’être se perd.

L’homme servile s’obstine à satisfaire ses maîtres et enseigne cette volonté à ses apprentis. Heureusement, entre les respirations, l’échappée et le souffle sont toujours possibles vers les paysages verdoyants - rideaux d’arbres, vols de papillons et rivière poissonneuse en vue de la pêche. Fuir pour se préserver et frayer avec le rêve, l’invention, le souvenir de lectures.

Les changements frénétiques et inattendus du protagoniste sont fantasques : contorsionniste pour honorer son service, espion d’une tablée de mondains suffisants, colonel d’armée de Zouaves…

Voix sonorisée de pensées ou échanges d’un convive à l’autre, démultiplication des interventions que le narrateur porte en lui, exprimées sur la scène verbalement, Guillaume Costanza incarne le service bien fait, significatif d’une époque, le buste courbé, un bras en avant qui semble tenir un large plat, et l’autre replié dans le dos, il danse et s’agite, le corps dévolu à sa mission de service. Il marche, - un surplace raffiné -, au pas de patineur qui avance vers son but, les coudes levés.

Une histoire de grande solitude que la servitude élude - humour moqueur et désir amoureux. La musique varie au rythme vivant du jeu du corps, ou inversement, la souplesse et la flexibilité physiques immédiates font que la musique s’autorise des vagues de variations et d’adaptations.

Vertige, ivresse et exaltation du spectateur amusé à poursuivre une marionnette aussi expressive.

Le Colonel des Zouaves, texte de Olivier Cadiot, mise en scène Ludovic Lagarde, musique Gilles Grand, avec Guillaume Costanza et Johana Beaussart (interprétation son), collaboration artistique Odile Duboc, scénographie Ludovic Lagarde, lumière Sébastien Michaud, costume Marie La Rocca, atelier costume Peggy Sturm, conseil chorégraphique Stéfany Ganachaud. Spectacle vu le 14 décembre au Théâtre de Lorient - Centre Dramatique National. Et Médecine générale d’Olivier Cadiot, conception et mise en scène de Ludovic Lagarde, les 16 et 17 février au Théâtre de Lorient.
Crédit photo : Simon Gosselin.

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Véronique Hotte

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