Le Bel Indifférent de Jean Cocteau par Christophe Perton au Théâtre de L’Atelier.
Le chemin infernal d’une déprise amoureuse.
Le Bel Indifférent, récit de Jean Cocteau, connaît deux versions, adaptées à la demande d’Edith Piaf, une pour le théâtre, une sous la forme d’un long poème non utilisé. Le metteur en scène Christophe Perton exhume cet inédit en l’adaptant pour des chansons - les musiques originales sont composées par les musiciens Maurice Marius et Emmanuel Jessua -, compilant les deux versions complétées par des inédits, soit une comédie musicale moderne présentée à L’Atelier aujourd’hui avec la comédienne et chanteuse Romane Bohringer et le danseur Tristan Sagon.
Piaf interprète la pièce en 1940 : « Dès les années 1950, la chanteuse est dépendante de la morphine comme le poète accroché à l’opium : les deux errent de cliniques en hôpitaux pour se défaire du poison. Piaf reprend Le Bel Indifférent sur scène en 1953, prématurément vieillie. »
Jacques Demy réalise en 1957 un court-métrage, adaptation de la pièce éponyme de Cocteau.
Pour Christophe Perton, Le Bel Indifférent est le récit de l’amour toxique d’une chanteuse célèbre et de son jeune amant, et Edith Piaf est cette éternelle amoureuse désespérée, cherchant le contrepoint d’une vie d’excès, un Graal amoureux susceptible d’offrir une oasis de paix.
« Pour beaucoup, je devrais être une femme heureuse, j’ai eu la gloire, l’argent et les amours. Mais ce ne sont pas des amours que j’aurais voulu connaître, mais un seul, un véritable amour. Quand les rides et la fatigue ont marqué mon visage, j’ai connu un drame. Je me suis aperçu, un jour, qu’on me jouait la comédie de l’amour, par pur intérêt. Ce jour-là, j’ai réalisé que j’avais vieilli, et pour une femme, c’est un jour atroce. » (Edith Piaf)
La comédie musicale ici s’inscrit dans une veine pop - un contrepoint à la parole parlée, l’incarnation d’une résistance et colère féminines. La protagoniste, artiste en tournée, rentre chaque soir dans sa chambre d’hôtel, attendant son jeune amant qui lui fausse compagnie.
L’indifférence est l’absence d’amour chez qui ne répond pas ou ne répond plus aux sentiments qu’il inspire - insensibilité, cruauté, rigueur, inattention, désintérêt, détachement, froideur. « Le supplice d’attendre est l’enfer des amants (…) » (Louis de Boissy, L’Impatient). Et rester dans la même attitude, ne rien faire avant : avant un temps à venir, ce qui peut arriver et qu’on espère.
Et quand le bellâtre survient, il n’est qu’indifférence et silence, un rôle qu’il se complaît à tenir, tant son emprise sur sa partenaire, devenue victime, est manifeste, provoquant la colère de celle-ci qui attend, fragile, dépendante, abandonnée par l’ingrat. Une émotion féminine meurtrie et blessée de solitude, se sentant basculer dans la folie, et qui, dans un réflexe salutaire ultime, jette toutes ses forces dans une lutte intérieure pour s’arracher à ce pouvoir inique, aspirant à un amour véritable.
« L’angoisse d’attente n’est pas continûment violente ; elle a ses moments mornes ; j’attends, et tout l’entour de mon attente est frappé d’irréalité : dans ce café je regarde les autres qui entrent, papotent, plaisantent, lisent tranquillement : eux, ils n’attendent pas. » (Roland Barthes, Fragments d’un désir amoureux. ) Dans sa chambre d’hôtel, l’héroïne aussi voudrait ne plus devoir attendre.
Romane Boringer incarne cet amour qui l’empêche de vivre et respirer, elle en décrit et en mime les mouvements et les gestes significatifs, une chorégraphie aigüe qu’elle dessine avec aisance et talent, comme éprouvant la douleur physique du coeur, d’autant que l’amante tombe sous les coups du mâle dominateur : le jeune partenaire Tristan Sagon est un danseur à la présence sûre.
Un spectacle pop qui réajuste les forces en présence, un rapport de domination mis à mal/mâle.
Le Bel Indifférent - comédie musicale pop -, texte et poèmes de Jean Cocteau, adaptation, mise en scène et scénographie Christophe Perton, avec Romane Bohringer et Tristan Sagon. Composition musicale originale Maurice Marius & Emmanuel Jessua, avec Emmanuel Jessua (lead guitare et claviers), Maurice Marius (chant et claviers), Jonathan Maurois (guitare), Pierre Rettien (batterie), Charles Villanueva (basse). Collaborateur artistique Simon Marius, vidéaste Baptiste Klein, lumières Jean-Pierre Michel, chorégraphie Glyslein Lefever, costumes Christophe Perton. Du 11 octobre au 12 novembre 2023, du mardi au samedi 21h, dimanche 17h au Théâtre de L’Atelier 1, place Charles Dullin 75018 - Paris. Tél : 01 46 06 49 24 www.theatre-atelier.com Le 23 novembre 20h, Théâtre de Longjumeau. Le 28 novembre 20h, Théâtre d’Aurillac. Le 30 novembre 20h30, Théâtre Le Liburnia, Libourne.
Crédit photo : Ludo Leleu