La mort de Nicole Charmant
Une lumineuse femme de l’ombre
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- 26 août
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Nicole Charmant vient de disparaître avec discrétion, vertu qu’elle a pratiquée tout au long de sa vie et qui la rendait différente de beaucoup de ses confrères, les directeurs de théâtre parisiens lesquels cherchent, naturellement, à bénéficier eux aussi de la lumière qui entoure les artistes. Directrice du théâtre de la Gaîté-Montparnasse, Nicole Charmant agissait différemment ; lumineuse femme de l’ombre, elle ne faisait pas figurer son nom sur les affiches de ses spectacles. Pourtant, elle aura œuvré et compté dans ce métier autant que tous ceux qui ont fait vivre et font vivre les soirées et matinées du Paris théâtral dit privé (c’est-à-dire fonctionnant surtout avec des fonds particuliers, avec peu de subventions et selon les aléas des lois commerciales).
En 1982, elle succéda à Michel Fagadau à la tête de la Gaîté-Montparnasse. Elle y resta jusqu’en 1995, non sans mal puisque les propriétaires des murs voulaient à partir de 1988 abattre ce petit temple de la scène (un ancien café-concert devenu un cabaret-théâtre historique avec l’arrivée d’Agnès Capri après la dernière guerre) et, le saccage fait, donner libre cours à des projets immobiliers. C’était illégal mais il fallut, pour que cette tragédie n’ait pas lieu, la solidarité de la profession, l’intervention du ministère de la Culture et surtout l’énergie de Nicole Charmant qui continua vaille que vaille – l’affaire se résolvant après plusieurs années de conflit par le rachat des murs opéré un nouveau propriétaire, Léon Gros. Ainsi, le théâtre resta ce qu’il était : un haut lieu du théâtre intelligent, dans la continuité d’un certain esprit français mais ouvert à d’autres inspirations (on sait combien le nouveau théâtre anglais apportait un souffle nouveau dans cette période 1980-1990), accueillant parfois la chanson – Nicole Charmant adorait Marie-Paule Belle qui fit là un retour éblouissant.
Quelques grands moments restent à l’esprit : Love de Schisgal avec Catherine Rich, Patrick Chesnais et André Dussollier, L’Eloignement de Loleh Bellon avec Macha Méril et Pierre Arditi, Ce qui arrive et ce qu’on attend de Jean-Marie Besset avec Marie-France Pisier, Sabine Haudepin et Christophe Malavoy La Contrebasse de Süskind avec Jacques Villeret, Comment devenir une mère juive en dix leçons de Paul Fuks avec Marthe Villalonga et André Valardy… De nombreux acteurs de renom y servirent ce répertoire qui refusait toute vulgarité : Charlotte Gainsbourg (Oleanna, avec Maurice Benichou), Fanny Ardant (La Musica), Jacques Weber, Claire Nadeau, Jean-Paul Farré, Jean-Pierre Bouvier, Annie Grégorio, Victor Lanoux … La tenace directrice sut collaborer avec le théâtre public comme lorsqu’elle accueillit La Chienne dactylographe mis en scène par Daniel Benoin avec Jacques Dacqmine et Isabelle Ehni, ou bien faire bien revenir comme metteur en scène régulier son prédécesseur, Michel Fagadau.
C’était une personnalité au goût sûr, très attachante, généreuse, cherchant à rendre plus heureuse la vie de chacun (ses amis les acteurs Philippe Etesse et Patrice Kerbrat, l’auteur Olivier Barrot notamment peuvent en témoigner) et aimant à rire. Elle entrouvrait parfois ses souvenirs sur Eugène Ionesco qu’elle avait souvent accompagné en voyage dans la première partie de sa vie. Souvenirs drolatiques qu’elle n’a malheureusement jamais couchés sur le papier. Ses proches l’appelaient « Coco », un surnom au parfum de bonheur disparu.
Photo, collection Gaîté-Montparnasse.