Nancy – Opéra National de Lorraine jusqu’au 4 mai 2014

LA CLÉMENCE DE TITUS de Wolfgang Amadeus Mozart

Des voix d’or, une mise en scène subtile, subliment un Mozart méconnu

LA CLÉMENCE DE TITUS de Wolfgang Amadeus Mozart

Une fois de plus, c’est à Nancy, à l’Opéra National de Lorraine, qu’a rayonné le bonheur d’une réussite : La Clémence de Titus, opéra mal aimé de Mozart, sublimé par des voix d’exception dans une mise en scène d’intelligence et de finesse a rejoint le palmarès de ses chefs d’œuvre.

On la voit peu cette Clémence de Titus, ultime drame lyrique, commande des Etats de Bohème pour servir d’ornement au couronnement de Leopold II, que Mozart dut honorer en moins d’un mois. Le sujet imposé l’obligea à revenir à la forme de l’opera seria dont il avait transcendé les structures dans ses œuvres antérieures notamment la fameuse trilogie composée sur les livrets de Da Ponte (Les Noces de Figaro, Don Giovanni, Cosi fan tutte). C’est l’été de l’année 1771, en France la révolution a mis à mal la royauté et Marie-Antoinette est la sœur de Léopold II. Pour plaire Mozart doit se plier au classicisme d’usage et trouver un thème à la gloire des monarques. Ce sera l’humanisme de Titus, empereur de Rome, qui par devoir envers son peuple, renoncera à Bérénice, l’étrangère, la femme aimée. Métastase en avait fait un premier livret en 1734 dont quelques compositeurs s’étaient déjà inspiré (Gluck, Jomelli). Pour Mozart, c’est le poète Caterino Mazzolà qui en écrira les dialogues et Franz Xavier Süssmayer les récitatifs. La Clemenzia di Tito est créé le 6 septembre à Prague. Il ne reste à Mozart que trois mois à vivre, juste le temps de composer son Requiem et le testament philosophique qu’est sa Flûte Enchantée.

Titus doit répudier Bérénice. Racine lui fait dire« Je sens bien que sans vous, je ne saurais plus vivre (…) mais il ne s’agit plus de vivre, il faut régner ». Et pour qu’il puise régner selon les règles, sa future impératrice devra être romaine. Il désigne un peu au hasard, Servilia, la sœur de Sextus, son confident, son meilleur ami. Mais il est aimé de l’ambitieuse Vitellia qui veut à tout prix conquérir ses bras et son trône. Pour arriver à ses fins elle il va se servir de l’amour fou que Sextus lui voue et, ayant appris le choix de Titus, assume sa vengeance en chargeant Sextus de mettre le feu à la ville et d’assassiner Titus. Il le fera. Titus en réchappera, et, seul contre tous, trouvera la force du pardon.

Dans l’intimité des personnages

Tombé dans l’oubli La Clémence de Titus mettra près de deux siècles à marquer à nouveau ses empreintes sur des scènes d’opéra. On le vit à Paris à partir de 1987 sous les signatures notamment de Willy Decker et Karl-Ernst Herrmann. Aucun des deux ne réussit, comme l’anglais John Fulljames à Nancy, à autant lui restituer son aura. Metteur en scène associé du Royal Opera House de Covent Garden, il est un directeur d’acteur pointu qui pousse les chanteurs dans l’intimité de leurs personnages, et, homme de musique, sait comment associer leur chant à leur jeu. Il est aussi visionnaire des lieux. Chez lui, la Rome de Titus est abstraite, atemporelle, universelle. Déclinée en géométries noires, grises, blanches, elle bâtit des murailles épaisses, des cloisons en transparence, des toitures mobiles qui surgissent autour d’un panneau vitré qui pivote sur lui-même pour délimiter les aires de jeu. Trois projeteurs lancent les contours en 3D de ces architectures mouvantes conçues et animées par Finn Ross (vidéos) et Bruno Poet (lumières), véritables illusionnistes des espaces. Les costumes sont noirs, uniformes, d’hier, d’aujourd’hui, sans date. C’est souvent d’une beauté puissante, et quand l’incendie de Rome fait tournoyer les fumées et virevolter les débris, on en a le souffle coupé.

Des prises de rôles éblouissantes

Plus encore que ce qu’il y a à voir, c’est ce qu’il y a à entendre qui émerveille. La distribution exemplaire est due au flair et savoir-faire de Valérie Chevalier, longtemps chargée des castings de la maison, et, depuis peu promue directrice de l’Opéra de Montpellier. Des prises de rôles éblouissantes, aucun des chanteurs n’ayant jamais interprété son rôle, et l’audace d’une innovation qui va tracer des ondes dans les mémoires. Sextus et Annius, composés pour des castrats, chantés d’habitude par des femmes mezzos sopranos prennent ici les timbres et les allures de contre-ténors. Et des meilleurs !

En tête Franco Fagioli, l’argentin à la voix d’or, dont la virtuosité nous avait ébloui dans Artaserse de Leonardo Vinci sur cette même scène nancéenne (voir WT 3490), incarne ici un Sextus d’anthologie, vif argent, tout en nerfs, habité de doutes et de douleurs, colorant d’ombres et de lumière ses prodigieuses vocalises de colorature. Face à lui, en Annius, l’Ukrainien Yuriy Mynenko au tempérament plus réservé dévoile un tout autre aspect de la même gamme vocale. Aux rondeurs serpentines de Fagioli, il oppose un son plus clair et plus aiguisé. C’est le ténor suisse Bernard Richter qui a la charge de défendre Titus dont il fait un homme jeune, engagé, frémissant contrôlant, en clarté absolue, un volume vocal rare qui lui confère autorité et dignité. La soprano slovène Sabina Cvilak embrase Vitellia des feux de sa nature, de ses aigus rageurs qui tranchent les cimes de la folie. Avec un seul grand air, sa compatriote Bernarda Bobro impose sa grâce et la douceur de sa présence en Servilia. Miklos Sebestyén, baryton-basse hongrois, confère à Publius gravité et sérieux. Que demander de plus ?

Derniers points fort : les chœurs qu’on ne voit pas (ils sont répartis dans les avant-loges qui surplombent la fosse), mais dont entend avec bonheur la justesse et la cohésion, et surtout la direction précise, aérée, enjouée pour ainsi dire du jeune chef américain Kazem Abdullah qui transporte l’orchestre symphonique et lyrique de Nancy sur des tempos à la fois déliés et dansants, au cœur même de Mozart.

La Clémence de Titus de Wolfgang Amadeus Mozart, opera seria en deux actes, livret de Caterino Mazzolà d’après Métastase, orchestre symphonique et lyrique de Nancy, direction Kazem Abdullah, chœurs de l’Opéra National de Lorraine, mise en scène John Fulljames, décors et costumes Conor Murphy, lumières Bruno Poet, vidéo Finn Ross. Avec Franco Fagioli, Bernard Richter, Sabina Cvilak, Bernarda Bobro, Yuri Mynenko, Miklos Sebestyén .

Nancy, Opéra National de Lorraine, les 29 avril, 2, 6 & 8 mai à 20h, le 4 mai à 15h.

03 83 85 30 60 - www.opera-national-lorraine.fr

Photos : Opéra National de Lorraine

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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