Nancy – Opéra National de Lorraine jusqu’au 10 novembre 2012
Artaserse de Leonardo Vinci
Quand cinq contre-ténors, cinq voix d’anges, vous emmènent au paradis
- Publié par
- 7 novembre 2012
- Critiques
- Opéra & Classique
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Philippe Jaroussky, Max Emmanuel Cencic en vedettes, Franco Fagioli, Valer Varna Sabadus, Yuriy Mynenko en fines fleurs des voix de sopranos masculins : à l’initiative de Cencic, ils sont réunis à Nancy, sur la scène de l’Opéra National de Lorraine pour la résurrection d’un chef d’œuvre aussi oublié que son auteur : Artaserse de Leonardo Vinci qui fut au temps de sa création en 1730 à Rome le plus grand succès lyrique d’Italie et d’Europe.
Décidément en cette rentrée automnale, pour découvrir et goûter des pièces majeures reléguées dans les archives, il faut délaisser la capitale et se laisser porter par les vents régionaux. Ainsi, à quelques semaines d’intervalles, on a pu découvrir à Toulouse, dans un tout autre registre mais avec le même génie du dépoussiérage Rienzi de Wagner, à Strasbourg le Son lointain- Der Ferne Klang de Franz Schreker (voir WT du 4 octobre 2012etdu 23 octobre 2012). A Nancy on recule de près de deux siècles pour se plonger dans les magies du plus pur baroque napolitain et c’est un enchantement.
Étrange destin que celui de Leonardo Vinci, initiateur de l’opera seria, qui fut une célébrité fêtée de son vivant mais dont on connaît mal la biographie, de sa naissance située aux alentours de 1690 à Strongoli en Calabre (ou à Naples ?) à son décès prématuré en 1730 dans des conditions restées obscures (une tasse de chocolat empoisonnée par un mari jaloux ?). Il est donc mort trois mois après la triomphale création d’Artaserse le 2 février de cette même année. Cet ultime opus lyrique clôt une cohorte d’œuvres, onze « commedia per musica" lmâtinées de commedia dell’arte puis trente six « dramma per musica » qui donnèrent naissance au genre sérieux de « l’opera seria ».
Son amitié avec le poète Pietro Metastasio, le librettiste le plus en vogue de son temps, contribua sans doute aux flambées de sa renommée. Le succès d’Artaserse fut tel que dès la fin du mois de sa création, un autre baroque allemand Johann Adolph Hasse en utilisa le livret. Celui-ci allait ensuite inspirer quelque 108 versions musicales signées entre autres par Piccinni, Gluck, Cimarosa, Scarlatti…
Le texte comme la musique sont de purs jus baroques, une histoire « à l’antique » la mode d’alors. Dans une Perse lointaine de contes imaginaires et d’aventures réelles, le roi Xerxès vient d’être assassiné par Artaban chef de la garde royale qui cherche ensuite à éliminer son fils Artaserse (Artaxerxès) pour placer le sien, Arbace, sur le trône. Mais Arbace est l’ami fidèle d’Artaserse et l’amant de sa sœur Mandane, et Artaserse aime d’amour Semira, la sœur d’Arbace. Enigmes parricides et fratricides, amours faussées en un sac de nœuds d’intrigues qui s’enchevêtrent autour d’une pléiade d’arias à la fois tragiques et étincelantes pour aériennes vocalises. Tout s’achèvera dans le pardon. La clémence à la Titus n’est pas loin.
La musique de Vinci aux spirales prêtes à être fredonnées est vive comme de l’eau de source. La fraîcheur des sonorités imbibe l’ensemble jusque dans les moments de gravité, récitatifs en boucles dansantes, arias da capo en veux-tu en voilà. Un régal !
Un décret du pape interdisait aux femmes de se produire sur scène, Vinci, comme ses contemporains, taillèrent leurs partitions aux mesures vocales des castrats. Les Farinelli, Carestini entrèrent ainsi dans la légende.
A Nancy, sous la direction enjouée de Diego Fasolis, les fins archets, claviers et bois du Concerto Köln expert en musique ancienne, accompagnent un quintette de contre-ténors tout simplement stupéfiants. En vedettes, Philippe Jaroussky dans le rôle titre, à peine trentenaire, un gosier consacré par dix ans déjà de succès retrouve dans le rôle de Mandane, sa sœur, Max Emmanuel Cencic, l’autre star de la tessiture masculine aigüe avec lequel il avait déjà triomphé dans un mémorable Sant’Alessio de Landi (voir WT du 26 novembre 2007).
La transparence de Jaroussky, sa fragilité conviennent à merveille aux débats intérieurs du fils de monarque balloté entre sa conscience, son amitié et ses amours. En crinolines virevoltantes, Cencic allie avec maestria grâce, tendresse et rages explosives. On les attendait, ils furent à la hauteur de l’attente. Plus inattendu fut le triomphe de l’argentin Franco Fagioli en Arbace à la présence électrique, époustouflant de virtuosité, rapide comme l’éclair, capable de porter son souffle aux cimes sans effort apparent, puis de plonger dans les abysses de graves ténébreux avec la même aisance. Semira, sa sœur, trouve en Valer Baran Sabadus, 26 ans, né en Roumanie, élégance et raffinement. C’est d’Ukraine que vient le jeune Yuriy Mynenko qui, dans le rôle du méchant général d’armée, impose la fermeté de ses vocalises. L’unique rôle de ténor de la distribution revient au personnage d’Artaban, assassin de Xerxès et père indigne d’Arbace. L’espagnol Juan Sancho joue vaillamment le fourbe et lui prête un timbre clair et homogène aux aigus parfois imprécis.
Cent pout cent baroque, la mise en scène du roumain Silviu Purcärete, s’ébroue sur le thème du théâtre dans le théâtre, formule connue qui ici embrouille parfois plus qu’elle n’éclaire les péripéties. Des habilleuses, des maquilleuses, des techniciens travaillent à vue, un régisseur des lumières pianote un ordinateur dans un coin du plateau. Le clin d’œil se veut malicieux mais il est plutôt envahissant. Le coup d’œil en revanche est le plus souvent superbe grâce aux décors, super baroques eux aussi, et surtout aux costumes extravagants de Helmut Stürmer.
Des tables de maquillage en rappel de l’illusion théâtrale, un portail s’ouvrant sur une silhouette écartelée rappelant le fameux Homme de Vitruve de Leonardo da Vinci (qui vécut un siècle avant le compositeur), du noir et blanc, un plateau tournant, des miroirs et des panneaux mobiles reproduisant des architectures de Monsu Desiderio et des personnages du Caravage.
Il n’existait aucun enregistrement intégral de cet Artaserse. Virgin Classics a comblé la lacune avec l’édition d’un tout nouveau Compact Disc où l’on retrouve l’orchestre et toute la distribution de la création nancéenne (à l’exception du ténor interprété par Daniel Behle.)
Pour ceux qui ne pourraient faire le voyage Mezzo et Mezzo Life HD proposeront une retransmission en direct le 10 novembre à 20h.
Artaserse de Leonardo Vinci, livret de Pietro Metastasio. Concerto Köln, direction Diego Fasolis, mise en scène Silviu Purcärete, décors, costumes, lumières Helmut Stürmer, coiffes Cécile Kretschmar, chorégraphie Natalie van Parys. Avec Philippe Jaroussky, Max Emmanuel Cencic, Juan Sancho, Franco Fagioli, Valer Barna Sabadus, Yuriy Mynenko .
Nancy – Opéra National de Lorraine, les 2, 6, 8, 10 novembre à 20h – le 4 à 15h.
+ 33 (0)3 83 85 33 11 – www.opera-national-lorraine.fr
En tournée – en version de concert
Opéra de Lausanne : les 23 et 25 novembre 2012
Theater an der Wien (Vienne) : le 4 décembre 2012
Théâtre des Champs Elysées à Paris : les 11 et 13 décembre 2012