Théâtre de la Tempête (Paris)

L’Ignorant et le fou

Dans la loge de la Diva

L'Ignorant et le fou

Une pièce peu jouée de Thomas Bernhard, c’est devenu une denrée rare tant l’Autrichien atrabilaire est apprécié (à juste titre) des scènes françaises.
L’Ignorant et le fou est l’une de ses premières pièces. Elle n’a pas la maîtrise macabre de Avant la retraite, ni le ton imprécatoire de Place des héros. Elle n’en porte pas moins en germe l’œuvre future de Bernhard. On y retrouve ses thèmes récurrents : la mort, la maladie, la musique, le théâtre et la responsabilité de son pays, l’Autriche, à l’égard du nazisme. Ici, les personnages sont emblématiques : le docteur, la chanteuse reine de la nuit, le père et les serviteurs. Il convient de dire deux mots sur l’anecdote bien qu’elle soit assez ténue. Comme toujours chez Bernhard ce sont les mots qui donnent corps à des personnages représentants des institutions.

La reine des ténèbres

Deux hommes attendent dans la loge d’une cantatrice. Le plus jeune est un médecin, le plus âgé est le père de la chanteuse. Il est vieux, alcoolique et aveugle. Le médecin se livre à un monologue d’une précision toute clinique, une sorte d’autopsie plus particulièrement centrée sur la dissection d’un cerveau. Son discours est posé, technique. Il énonce en connaisseur délicat et distingué. La chanteuse lyrique arrive, se vêt, se coiffe, aidée par l’énigmatique Madame Vargo, son habilleuse. Le décor est planté. Les lumières crues de la rampe et de la table de maquillage, les atours excessifs de la cantatrice, tout doit suivre un rituel codifié. Comme les questions et les démentis du père à la fille, comme l’inextricable écheveau de leurs liens qui n’ont rien de rationnel, comme les circonvolutions du cerveau. Le docteur est un personnage social important, mais qui est-il en réalité ? Quels sont ses liens avec les autres personnages ? L’auteur laisse planer le doute.
La reine de la nuit, ou plus exactement la reine des ténèbres telle que nous l’a décrit Bernhard, est une championne dans le rôle si difficile de l’opéra de Mozart La Flûte enchantée. Le docteur admire le chef-d’oeuvre de la voix humaine. Ce mélomane du scalpel doit opérer en sifflotant la charge des Walkyries. Il considère en entomologiste le mystère de la voix humaine.

Le procédé du monologue hypnotique

Autre personnage singulier, l’habilleuse Madame Vargo. Elle est la grande ordonnatrice des costumes de scène et de vie. Elle connaît tous les secrets intimes de la diva. La grosse ceinture qu’elle ceint autour de la taille de sa maîtresse sert-elle à cacher la serrure de la clef qui remonte la mécanique ?
L’Ignorant et le fou utilise, comme presque toujours chez Bernhard, le procédé du monologue hypnotique. Pierre-Alain Chapuis est le médecin. Son jeu est détaché, précis, évite la grandiloquence et l’effroi. Il met en déséquilibre le spectateur pour ce texte qu’il dit sur le fil du rasoir. Yvan Blanloeil, lui, interprète le rôle du père et évoque une fin de partie où Beckett se serait réfugié dans une loge à l’opéra. Il signe aussi la mise en scène, modèle de précision visant à servir d’intelligence intérieure du texte. Yvan Blanloeil a choisi Gabrielle Godard pour être la reine de la nuit. Comédienne et artiste lyrique elle porte ce rôle sans jamais tomber dans les stéréotypes de la diva. Elle est plus proche d’une Nathalie Dessay fatiguée que d’une Castafiore. Son expérience nourrit son personnage et porte la réflexion cruelle sur l’exercice de l’art. Ce tableau serait incomplet si nous ne citions pas Karina Ketz, présente comme une âme damnée du docteur Mabuse.
L’Ignorant et le fou est un spectacle qui se distingue dans le paysage théâtral particulièrement morose de ce mois de mai.

L’Ignorant et le fou, de Thomas Bernhard. Traduction : Michel François Demet.
Mise en scène : Yvan Blanloeil. Avec Pierre Alain Chapuis, Gabrielle Godard, Yvan Blanloeil, Karina Ketz. Théâtre de la Tempête : 01 43 28 36 36.

A propos de l'auteur
Marie-Laure Atinault
Marie-Laure Atinault

Le début de sa vie fut compliqué ! Son vrai nom est Cosette, et son enfance ne fut pas facile ! Les Thénardier ne lui firent grâce de rien, théâtre, cinéma, musée, château. Un dur apprentissage. Une fois libérée à la majorité, elle se consacra aux...

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