Nancy - Opéra National de Lorraine jusqu’au 28 juin 2009

IDOMENEE de W. A. Mozart

Des voix lumineuses dans un spectacle noir

IDOMENEE de W. A. Mozart

Idomeneo, opera seria de jeune maturité de Mozart aurait pu être sous-titré « la barbarie de droit divin » ce qui l’aurait aussitôt propulsé dans une actualité devenue, hélas, intemporelle. Car c’est bien la boulimie sacrificielle des dieux – ici Neptune – que dénonce le drame d’Idoménée, roi de Crète, emporté dans le naufrage de sa flotte alors qu’il rentrait au bercail en vainqueur des Troyens. Pour prix de sa survie, le dieu de la mer exige le sacrifice du premier homme qu’il rencontrera sur terre ferme. Le destin – ou le caprice du dieu – désignera Idamante, son propre fils. Le refus d’obéissance du vaillant guerrier déclenchera un cataclysme dont son peuple sera la première victime.

On pourrait actualiser à loisir. Il y a trois ans à Berlin le metteur en scène allemand Hans Neuenfels renvoyait aux religions qui régissent nos civilisations, l’image du pouvoir divin dictateur, Jésus, Jehova, Bouddha ou Mahomet. Son point de vue fut considéré comme une offense à l’islam, les menaces furent telles que la direction de la Deutsche Oper dut annuler les représentations. On ne pouvait guère en illustrer plus clairement le bien fondé…

Des tableaux qui se succèdent en beauté abstraite

Yannis Kokkos, metteur en scène, n’affiche aucun parti pris politique happé dans la réalité. Il est homme du classicisme et de l’épure, il aime manier les symboles. Les décors dont il est l’auteur sont des signes, leurs couleurs, leurs trajectoires en fournissent les clés : ces piliers mobiles striés de griffures bleues déterminent les espaces et en tracent les frontières mentales, pans de murs aveugles contre lesquels la raison se cogne. Jupiter est personnifié par un œil, un cercle qui se fait lune ou soleil par delà les ténèbres. Les lumières rasantes de Patrice Trottier habillent les tableaux qui se succèdent en beauté abstraite.

Tellement hors contexte qu’ils finissent par embrouiller les pistes. Où est le monstre envoyé par Neptune pour déclencher la désolation ? Qui ne connaît l’histoire s’y perd. Les costumes qui se veulent d’aujourd’hui, neutres et stylisés n’aident guère : tous les hommes portent la même tenue, costard noir, chemise blanche, et comme les quatre premiers rôles masculins sont attribués à quatre ténors, dans la dominante noire des décors et des lumières il est parfois difficile de s’y retrouver. D’autant que le chœur, dans les mêmes costumes, semble ne plus très bien savoir où il est ni où il va.

Le plaisir est dans les voix

Les deux femmes arborent les mêmes couleurs, symboliquement simplistes, blanche pour Ilia la princesse captive, noire pour Electre la princesse en exil, la gentille, la méchante, toutes deux éprises du même homme Idamante. Et celui-ci prévu pour un castrat dans la version initiale de 1781, généralement chanté par une mezzo soprano, est interprété par un ténor conformément à une seconde version de 1786, mais sans le rondo que Mozart lui avait spécialement confectionné.

Le plaisir est dans les voix : Chad Shelton en monarque sauvé des eaux puis martyrisé par sa conscience de père manie avec autorité et engagement les demi-teintes, Frédéric Antoun apporte une belle humanité et beaucoup d’élégance à Idamante, le fils tiraillé entre devoir et amour, Jésus Garcia, son ami, son confident devient pratiquement son double, tandis que le timbre d’Alexandre Swan, en grand prêtre dans ce rôle généralement chanté par une basse, lui confère une étrangeté qui ne manque pas d’attrait.

La radieuse soprano hollandaise Judith Van Wanroij, entendue dans Belinda du Didon et Enée présenté à l’Opéra Comique (webthea du 5 décembre 2008), confirme la splendeur de ses aigus et sa fraîcheur deux atouts pour une Ilia idéale tandis que la lettonienne Marina Rebeka, sa rivale, réussit avec brio, force et tendresse à humaniser Electre, la mauvaise perdante du jeu amoureux.
Le jeune et doué Kirill Karabits au geste vif argent insuffle à l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy une théâtralité aux couleurs endiablées au détriment parfois de sa grâce.

Idoménée de Wolfgang Amadeus Mozart, livret du père Giambattista Varesco, orchestre symphonique et lyrique de Nancy, direction Kirill Karabits, chœur de l’opéra National de Lorraine et d’Angers Nantes Opéra, mise en scène, décors et costumes Yannis Kokkos, lumières Patrice Trottier. Avec Chad Shelton, Frédéric Antoun, Judith Van Wanroij, Marina Rebeka, Jésus Garcia, Alexandre Swan ; Jan Stava. Coproduction avec l’Opéra National de Bordeaux.

Nancy – Opéra National de Lorraine, les 19, 22, 24 & 26 juin à 20h, le 28 à 15h.

+ 33 (0)3 83 85 30 60 – www.opera-national-lorraine.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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