Liège – Opéra Royal de Wallonie jusqu’au 15 juin 2013

GUILLAUME TELL d’André-Modeste Grétry

Promenade de charme dans un musée d’art naïf

 GUILLAUME TELL d'André-Modeste Grétry

Consacré, fêté à Paris sous la monarchie de Louis XVI puis sous la Révolution, André-Modeste Grétry (1741-1813) né à Liège a toujours affirmé que son coeur restait ancré à sa ville natale. Qui lui rend son affection. Devant le bel édifice de l’Opéra Royal de Wallonie, sa statue de bronze veille. Sur la scène en ce mois de juin, Stefano Mazzonis di Pralafera, metteur en scène et directeur de la maison, a tenu à célébrer le bicentenaire de sa mort avec la production « à l’identique » de l’un des plus connus de ses opéras : Guillaume Tell.

Le héros, son arbalète, sa flèche et la pomme posée sur la tête de son fils y reproduisent la geste de leur patriotisme dans des décors, costumes et une déclamation à l’ancienne pleins de saveur et d’humour.

Après avoir ouvert la saison avec Stradella, opéra signé César Franck ; autre enfant du pays, (voir WT 3443 du 25 septembre 2012), l’italien Stefano Mazzonis la referme donc par un autre coup de chapeau à cette ville qu’il semble décidément avoir adoptée.

Sur le même sujet, une trentaine d’années plus tard, Rossini composa son Guillaume Tell œuvre ultime dont l’ouverture pourrait faire figure de tube. S’est-il inspiré de Grétry ? Certain le pensent comme Claudio Scimone chef d’orchestre qui dirige la production liégeoise. L’opéra de Rossini fut créé en 1829 à l’Opéra de Paris, un an plus tôt celui de Grétry était repris à l’Opéra Comique de la même ville. Dans les deux œuvres se faufilent les traces de la musique populaire suisse – de ce répertoire dit du « ranz des vaches » inspiré des refrains que chantaient les bergers.

Le Guillaume Tell Rossini a éclipsé celui de Grétry. Pourtant la musique de ce contemporain de Mozart (1756-1791) dont il cite volontiers des bribes- cela se pratiquait à l’époque sans revendication de droits d’auteur – use d’un alliage subtil de bel canto italien et de déclamation française. Un mélange taillé aux mesures du genre « opéra comique » où les dialogues parlés s’insèrent entre les parties orchestrales et chantées. Du souffle, du charme, des duos, des trios, des quatuors, des parties chorales constituent l’essentiel de la partition. Seules deux grandes arias en solo donnent lieu à des numéros de bravoure vocale.. Le livret souvent grandiloquent de Michel-Jean Sedaine donne à la musique sa touche d’éloquence et de patriotisme - « la mort d’un brave est un deuil pour tout un peuple » - où le comique frôle l’héroïque en clin d’œil ou second degré.

C’est en tout cas le choix adopté par Stefano Mazzonis pour une mise en scène vivace qui tourne le dos à toutes les techniques et technologies qui désormais équipent les maisons d’opéra – y compris celle de Liège entièrement rénovée. Pas de transposition dans le temps ou l’espace mais un retour aux sources de l’art lyrique. On pense inévitablement à Benjamin Lazar, à ses éclairages à la bougie, sa gestique baroque, son obsession quasi mystique de l’authenticité. Mazzonis ne pêche pas dans ces eaux- là, il se contente d’une reconstitution à la fois fidèle et amusée et fait exploser le comique jusqu’au grotesque caricatural. Les décors de Jean-Guy Lecat font défiler des perspectives en trompe-l’œil, où les toiles peintes se déroulent pour former des montagnes, des chalets, des pâturages, des places publiques de village, imagerie garantie suisse comme sur cartes postales. Les changements sont manipulés à vue par des matelots-machinistes à l’aide palans, poulies, roues et cordages. Des coquilles Saint Jacques dorées masquent les feux de la rampe, un vrai chien, blanc de poil et suisse de race, remue la queue et se laisse câliner, un brave cheval bien vivant, quelques bestioles, vaches et autres, en carton pâte habillent les paysages. Nous sommes dans une pièce de musée d’art naïf où des marionnettes de toutes tailles ont finalement le dernier mot.

Petit tour de force et coup de chapeau local côté casting : Mazzonis a réussi à réunir une distribution de chanteurs 100% belges de niveau étoilé et c’est un plaisir de les voir s’amuser en nous amusant et de les entendre défendre avec panache leurs personnages : le ténor Marc Laho dans le rôle titre projette un timbre d’une parfaite fermeté, en accord vocal et en jeu déterminé avec le vaillant révolutionnaire helvète, Anne-Catherine Gillet, soprano du cru devenue vedette internationale de Toulouse à Paris en passant par Pékin, Bruxelles et Francfort, soutient toute la gamme des émotions de madame Tell jusqu’aux aigus célestes de son aria solo, Lionel Lhote, baryton également rôdé sur bien des scènes d’Europe, enfile sans état d’âme habits et fourberies du méchant Gessler et les graves rageurs de son grand air . La jeune Natacha Kowalski met son timbre lumineux au service d’un adorable adolescent, Liesbeth Devos incarne sa grande sœur en élégance rustique, Patrick Delcour, Stefan Cifolelli, Roger Joakim complètent vaillamment la panoplie des personnages.

Le vétéran Claudio Scimone se délecte visiblement à diriger les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra royal de Wallonie qui lui rendent son plaisir avec le même bonheur.


Guillaume Tell d’André Modeste Grétry, livret de Michel-Jean Sedaine d’après Antoine-Marie Lemierre. Orchestre et maîtrise de l’Opéra royal de Wallonie, direction Claudio Scimone, chef de chœur Marcel Seminara, décors Jean-Guy Lecat, costumes Fernand Ruiz, lumières Franco Marri . Avec Marc Laho, Anne-Catherine Gillet, Lionel Lhote, Liesbeth Devos, Natacha Kowalski, Patrick Delcour, Stefan Cifolelli, Roger Joakim et les comédiens Bernard Van Hoye et Jean-Marc Brouxel
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Liège – Opéra royal de Wallonie , les 7, 11 ; 13 et 15 juin à 20h

+32 (0)4 221 47 22 – www.operaliege.be

Photos Jacques Croisier

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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