Festival de Bayreuth (2)

La mise en scène de « Parsifal » avec lunettes de réalité augmentée a fait du drame sacré de Wagner un pandémonium numérique.

Festival de Bayreuth (2)

On s’en faisait un monde. Et une joie de les découvrir. Car, ce n’était ni la direction d’orchestre, ni la distribution qui étaient mises en avant pour la création de ce nouveau Parsifal (repris ensuite pendant quatre étés d’affilée à Bayreuth), mais bien les lunettes AR (réalité augmentée) associées à la mise en scène de l’Américain Jay Scheib, plasticien spécialiste des nouvelles technologies de la scène.

Mais à peine chaussées, on a mesuré les limites des ces lunettes proposées moyennant un supplément de 80 €. Loin de plonger le spectateur dans un monde nouveau comme le font les casques de VR (réalité virtuelle), elles ne font que compléter le dispositif scénique qui se déploie sur le plateau, se superposant à lui, projetant hors de son cadre et dans toutes les directions (y compris vers vous) une foule d’objets et de créatures animales, végétales et de silhouettes humaines taillées à la serpe. On doit se soumettre passivement à ces déferlantes répétitives téléguidées en direct par un invisible et omnipotent régisseur. Il faut parfois résister à esquiver tel projectile, tel insecte, telle flèche, telle chouette qui fonce droit vers vous. Ces gadgets de jeu vidéo donnent parfois lieu à des gags : lorsque votre voisin de droite essaie en vain de chasser un cafard qu’il croit voir sur sa cuisse un fou rire se propage alentour !

Certes, il y a beaucoup de merveilleux dans Parsifal mais cet invraisemblable bric à brac numérique oscillant entre l’imagerie niaise de Disney et celle, hideuse, des films d’heroic fantasy, nous semble un contresens total. De plus, rien n’est plus distrayant que ces procédés qui semblent les moins appropriés à l’œuvre qui, de toutes celles de Wagner, requiert le plus de concentration, d’intériorité. Mais on s’est accroché car c’est, paraît-il, la solution d’avenir pour le spectacle vivant en perte de vitesse.

Mise en abyme des lunettes

Sur ces lunettes encore à l’état expérimental, les organisateurs de spectacles fondent en effet tous leurs espoirs de régénérescence de l’opéra et de captation d’un public plus jeune. Appelée, semble-t-il à se développer à Bayreuth comme ailleurs, la technologie nécessite des moyens matériels et humains spécifiques. Elle est pour l’heure distillée au compte goutte, réservée aux spectateurs cantonnés dans les derniers rangs du parterre (soit environ 300 personnes sur 2000) qui ressemblent plus à des punis qu’à des privilégiés.

Une fois rendez-vous pris quelques heures avant le spectacle pour les réglages et adaptations à votre vue (ça se complique pour les porteurs de lunettes ou de lentilles qui doivent fournir au préalable les mesures de correction), les lunettes sont arrimées au dos de votre siège pour être connectées et chargées. Dès que vous les prenez en main, elles révèlent une première et désagréable surprise : elles sont chaudes, à la limite du supportable, contribuant à augmenter de quelques degrés la touffeur où est plongée la salle en cet été caniculaire.

Car si l’acoustique et la visibilité sont presque partout parfaites dans le Festspielhaus, quasiment inchangé depuis sa création en 1876, on n’y trouve aucun confort moderne : sièges en bois durs et serrés, peu de place pour les jambes (les grands sont à la torture), espaces de circulation réduits au maximum (claustrophobes s’abstenir), ventilation imperceptible (les évanouissements sont fréquents). Bref, pour venir et surtout revenir à Bayreuth, il faut vraiment la foi !

Il était une foi

La foi, c’est précisément ce dont il est question dans Parsifal, créé en 1882. Exclusivement destiné au Festspielhaus inauguré six ans plus tôt avec le Ring, l’opéra en trois actes qualifié par Wagner de « festival scénique sacré » baigne dans le mysticisme. Wagner avait expressément demandé à ce que le public n’applaudisse pas à la fin du spectacle comme à un divertissement, encore moins au terme de chacun des trois actes. Ce que pourtant le public fait de plus en plus souvent, parfois avec un enthousiasme hors de propos.

Wagner qui, selon son habitude, a composé également le livret, s’est fondé sur une épopée médiévale, mélange de spiritualité chrétienne et de merveilleux païen. L’œuvre s’ouvre sur le désespoir des Chevaliers du Château de Montsalvat dans les Pyrénées. Ils se désolent de voir leur roi Amfortas, blessé par le magicien Klingsor avec la lance sacrée qu’il a dérobée, incapable de poursuivre le service quotidien du Graal (la coupe où a été recueilli le sang du Christ). Seul un jeune innocent, un benêt nommé Parsifal, surgi soudain de nulle part, est susceptible de sauver le monde. Encore faut-il qu’il résiste aux tentations que Klingsor met sur sa route dans son jardin enchanté en la personne des lascives filles-fleurs. Sans parler de Kundry, la pécheresse, qui n’a de cesse de le relancer avant de s’avouer vaincue et de se mettre elle aussi au service de l’« Élu ». La rédemption est à la clef lors de la scène finale en apothéose nommée « enchantement du Vendredi saint ».

Dès que s’élèvent les premières notes du prélude, un ballet de flocons luminescents se met en place dans les lunettes AR, à moins que ce soient des comètes qui se meuvent au rythme cosmique de la musique. Sur scène, la pauvreté du décor (le Château de Montsalvat est une cheminée d’usine ou un phare rébarbatif) le dispute aux kitsch des costumes. Un écran disposé en fond de scène dispense par intermittence et selon un procédé désormais archi rebattu des gros plans des chanteurs filmés en direct sur le plateau. Dans une séquence gore insupportable on y voit une main fouailler la blessure d’Amfortas pour en extraire un caillot de sang et recommencer ad nauseam.

Caillots de sang et batteries usagées

Quant à la direction des acteurs/chanteurs, elle est quasi inexistante. Ceux-ci sont le plus souvent livrés à eux-mêmes, plantés bras ballants, et les chœurs juste disposés en arc de cercle comme à la chorale. On en revient donc aux lunettes AR où les intentions du metteur en scène se manifestent plus clairement. Particulièrement au troisième et dernier acte avec les branchages, les sacs et bouteilles de plastique, les batteries usagées, les fusils et autres grenades qui flottent pêle-mêle en tous sens. Le combat des Chevaliers est désormais une lutte pour la survie dans un monde de déchets ingérables, de catastrophes climatiques, de violences et de guerres pour l’appropriation des nouveaux métaux précieux que sont le lithium et le cobalt. On a connu démonstration moins lourde !

D’emblée on n’est pas séduit non plus par la direction de l’espagnol Pablo Heras-Casado, nouveau venu à Bayreuth, dont le fameux prélude nous a paru bien terne. Il faut attendre le grand chœur du premier acte pour que se déploie une ligne générale et que s’instaure une dynamique qui va crescendo jusqu’au finale. Non sans mettre en évidence les qualités proprement renversantes dudit chœur dont on ne se lasse jamais.

Est-ce la fin du cycle et les séquelles de la fatigue et/ou et de la chaleur, il nous a semblé que le ténor Andreas Schager dans le rôle-titre est moins convaincant qu’attendu même s’il y engage une belle énergie. Toujours surprenante, en revanche, la soprano Ekaterina Gubanova, que l’on a vue quelques jours auparavant en volcanique Vénus dans Tannhaüser, change de peau en un éclair : de la Kundry séduisante du jardin enchantée de Klingsor elle se métamorphose en servante de Dieu repentante et pour cela sauvée au dernier acte. Face à un Parsifal plutôt inexpressif quoique doté de moyens vocaux impressionnants, elle déploie une conviction et une présence qui emportent l’enthousiasme au moment des saluts.

D’une constance et d’une prestance scénique et vocale inflexibles, la basse Georg Zeppenfeld force le respect dans son interprétation de Gurnemanz, le doyen et gardien de la mémoire des chevaliers, celui qui confère de la (re)tenue à un spectacle qui en manque tant.

Photo Enrico Nawrath

Parsifal , de Richard Wagner, Festival de Bayreuth jusqu’au 27 août, www.bayreuther-festspiele.de
Mise en scène : Jay Scheib. Direction : Pablo Heras-Casado. Scénographie : Mimi Lien. Costumes : Meentje Nielsen. Lumières : Rainer Casper. Vidéo : Joshua Higgason. Dramaturgie : Marlene Schleicher. Chef des choeurs : Eberhard Friedrich.
Avec Andreas Schager, Ekaterina Gubanova, Georg Zeppenfeld, Derek Welton, Tobias Kehrer, Jordan Shanahan. Siyabonga Maqungo, Jens-Erik Aasbø, Betsy Horne, Margaret Plummer, Jorge Rodríguez-Norton, Garrie Davislim, Evelin Novak, Camille Schnoor, Margaret Plummer, Julia Grüter, Betsy Horne, Marie Henriette Reinhold.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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