En atendant d’Anne Teresa De Keersmaeker

Partant de corps parlant

En atendant d'Anne Teresa De Keersmaeker

Qui a vu « En atendant (sic) » en 2010 en aura la nostalgie. Qui le découvre aujourd’hui en a l’émerveillement. Conçue pour être en harmonie avec le crépuscule du soir, cette création fait corps avec des musiques d’époques bouleversées : notre présent plutôt chaotique, le passé moyennageux des épidémies de peste.

Anne Teresa de Keersmaeker a insufflé un dialogue corporel entre des membres de sa troupe ‘Rosas’, un cloître avignonnais encadré de deux platanes, des musiques contemporaine et médiévale, un public actuel, la réalité temporelle du passage du jour à l’obscurité. Ce mélange étrange produit une œuvre inclassable.

Dans un silence à peine troublé par de vagues relents sonores de la cité, un flûtiste soliste se campe au bord de l’espace scénique fait de sable mouillé. Il prend temps d’être physiquement présent avant de porter son instrument à ses lèvres. Alors en sort un souffle, une respiration devenue sonorité, musique. Rien de mélodique. Des sons sourds. Des palpitations qui se traduisent aussi par des palpitations de la joue, des tremblements liés au corps. La soirée de ballet commence sans les danseurs.

Tout à l’heure ce sera aussi, par moments, des danseurs sans musique, des danseurs dirait-on ‘a cappella’, comme il y aura ensuite cantatrice avec et sans accompagnateurs. La représentation s’accompagne d’un fugace réel pépiant, grâce à des oiseaux en vol par au-dessus du cloître. Les oreilles s’en souviennent et s’étonnent d’une telle complicité.

Lorsque les artistes investiront l’espace pour y danser, ce sera de corps, en dehors de toute anecdote narrative. Des présences humaines, gestuelles, charnelles, vêtues de noir. Sobriété. Élégance. Nulle aspiration à la performance qui place les interprètes aux limites physiques de leur résistance. Simplement une fluidité de mouvement, une tendresse peut-être. Sans escamoter une certaine violence parfois. Mais dépouillée d’agressivité.

Femmes et hommes arpentent l’espace scénique. Aller. Retour. Aller et retour. Seul ou seule. À plusieurs. Côte à côte. Se croisant. Se touchant ou non. Les unes vite ; les autres lentement. Ainsi se tisse une communauté. Ses attirances ou ses rejets. C’est une tribu, c’est un clan, c’est une fourmilière. Chaque individu demeurant cependant lui-même en connivence d’autrui.

Une dynamique permanente s’installe. Les anatomies sont sculptures mouvantes. Mais elles ont aussi leur musique, celle des pieds raclant le sol, y abandonnant des traces. Contrepoint à ces compositions à la vièle, aux flûtes à bec ainsi qu’au chant à voix nue ou portée par les notes complexes et envoutantes. Hors du temps. Pourtant s’installe, petit à petit, une pénombre lente. Et tandis que le noir parvient à s’installer, voici en finale, un homme, solo peu à peu dévêtu, qui termine couché au sol dans une obscurité qui impose le silence final.

La lumière artificielle du théâtre nous rappelle au présent. Un présent empli de gestes, de figures spatiales, de regards échangés par une troupe dont chaque élément est conscient de tous les autres. Une vision d’unité en diversité, de vie sans cesse en existence. Peut-être nous sentons-nous, habités par une méditation toute intérieure à ramener précieusement dans notre quotidien.

Durée : 1h40
Festival In d’Avignon
14>25 juillet 2023 Cloître des Célestins

Distribution
Avec Boštjan Antončič, Sophia Dinkel, Carlos Garbin, Marie Goudot, Cynthia Loemij, Mark Lorimer, Sandy Williams, Sue-Yeon Youn, Michael Schmid (flûte) ; ensemble ‘Cour et Cœur’  : Thomas Baeté (vièle), Bart Coen (flûtes à bec), Lieselot De Wilde ou Annelies Van Gramberen (chant, en alternance)
Chorégraphie : Anne Teresa De Keersmaeker
Direction musicale : Bart Coen
Scénographie : Michel François
Costumes : Anne-Catherine Kunz
Direction des répétitions : Fumiyo Ikeda
Assistanat pour la reprise : Femke Gyselinck, Fumiyo Ikeda, Cynthia Loemij, Chrysa Parkinson, Michaël Pomero
Conseiller musicologique : Felicia Bockstael
Direction technique : Freek Boey, Jonathan Maes
Technique : Jan Balfoort
Coordination artistique, planning : Anne Van Aerschot
Coordination des costumes : Emma Zune
Assistanat aux costumes : Els Van Buggenhout
Habillage : Emma Zune
Administration de tournée : Jolijn Talpe
Production Rosas
Coproduction 2010 De Munt La Monnaie (Bruxelles), Festival Grec (Barcelone), Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, Théâtre de la Ville (Paris), Festival d’Avignon, Concertgebouw Brugge (Bruges)
Soutien : Communauté flamande, Commission communautaire flamande (VGC), Fondation BNP Paribas.

Compléter : Yves Bourgade portrait : https://webtheatre.fr/Anne-Teresa-de-Keersmaeker-6363

Musiques :
...L(ÉLEK)ZEM..’ - Istvan Matuz
En Atendant, souffrir m’estuet (ballade) - Filippo da Caserta
Estampie En Atendant 2 (2010) - Bart Coen
Sus un’ Fontayne (virelai) - Johannes Ciconia
Je prens d’amour noriture (virelai)- anonyme
Esperance, ki en mon cœur - anonyme

A propos de l'auteur
Michel Voiturier
Michel Voiturier

Converti au théâtre à l’âge de 10 ans en découvrant des marionnettes patoisantes. Journaliste chroniqueur culturel (théâtre – expos – livres) au quotidien « Le Courrier de l’Escaut » (1967-2011). Critique sur le site « Rue du Théâtre »...

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