Opéra de Lausanne du 6 au 15 juin 2014

Die lustigen Weibern von Windsor de Otto Nicolai

Falstaff sur le divan

Die lustigen Weibern von Windsor de Otto Nicolai

Rares sont les occasions de redécouvrir un petit chef d’œuvre oublié des répertoires lyriques. Ainsi en cette fin saison il aura fallu s’en aller pêcher dans les eaux calmes de l’Opéra de Lausanne pour y dénicher – comme dans une huître – une petite perle d’humour musical datée de 1849 ! Die lustigen Weibern von Windsor, la jolie farce shakespearienne des Joyeuses commères de Windsor mises en opéra-comique par Otto Nicolai à la mi-temps du 19ème siècle vient d’y ressusciter en fantaisie débridée et jolies voix.

Otto Nicolai ! Qui était cet homme, ce compositeur si peu joué de nos jours que son nom, pour beaucoup, a fini par se perdre dans les labyrinthes des archives de musicologie ? Un enfant surdoué né à Königsberg en Prusse orientale en 1810 qui brilla très tôt et très intensément sur la vie musicale de Berlin et de Vienne. Il y fut l’un des fondateurs du fameux Orchestre Philharmonique de Vienne. Un séjour à Rome en qualité d’organiste de la chapelle musicale de l’ambassade de Prusse, le plongea dans les effluves du bel canto, de Donizetti, Rossini, Palestrina. Il rêvait d’une musique passerelle où les bulles légères de l’opera buffa se joindraient aux élans du romantisme allemand. De ses cinq opéras seul le dernier adapté des Merry wives of Windsor de Shakespeare, créé au Hofoper/Opéra de cour de Berlin le 9 mars 1849, deux mois avant sa mort subite à l’âge de 38 ans, connut un vrai succès et grava les traces de sa marque de fabrique : un patchwork de charme où mélodies aérées héritées de von Weber et rythmes joyeux puisés chez Rossini et annonçant déjà Offenbach, se succèdent et se mêlent.

Nicolai ne fut pas seul à s’enthousiasmer pour les frasques de ces commères et de leur tête de Turc, ce « Fat Knight » nommé Falstaff. Salieri, avant lui, s’y était frotté, Verdi, après lui, en 1893, en fit son chef d’œuvre testament. Nicolai trempe les personnages dans la langue allemande, Mrs Ford devient Frau Fluth, Mrs Page est rebaptisée Frau Reich et Slender s’appelle Spärlich. Mais Anna reste Anna, tout comme son amoureux Fenton.

Une mine d’or d’idées loufoques

Quant à Falstaff, il continue bel et bien d’exister dans ses vantardises et ses tentatives de conquêtes féminines, mais à Lausanne, le metteur en scène franco-allemand David Hermann, change la donne et tire pour lui la carte du fantasme. Rien d’incongru dans ce parti-pris inattendu, mais une mine d’or d’idées loufoques qui tricotent des situations inédites, des transpositions juteuses sans rien trahir de la musique ou de l’histoire. Les commères sont de toujours, d’hier à aujourd’hui, pies bavardes, épouses en panne qui rêvent d’amours interdites et vont confier leur désarroi et leurs manques au psychiatre. Leurs arias virtuoses sont muées en confidences syncopées. Falstaff est leur fantasme, l’amoureux de l’ombre qui fait vibrer leur imaginaire érotique. Ainsi Herr Fluth, le mari jaloux, court après un fantôme qui au final, nu et poilu, remettra chacun dans sa vérité. Tous chantent en langue allemande – version originale – et débitent les dialogues en français. Hermann en a rajouté une poignée et s’est offert quelques-uns de ces délires bouffons qu’il affectionne et qui lui avait si bien réussi à Nancy avec l’Italienne à Alger (voir WT 3178 du 20 février 2012).

Des décors chromos de catalogues - couleurs acides, agencements cocasses, maisons aux toits pointus, divan du psy, bar chic (c’est son nom !), piscine gonflable, lit voilé… - s’insèrent parfaitement dans les dérives vaudevillesques. Dans la fosse, Frank Beermann fait bouillonner avec vigueur l’Orchestre de Chambre de Lausanne. Sur scène Valentina Farcas, soprano roumaine délicieusement coquine confie les vocalises de Frau Fluth au psychiatre à barbiche et lunettes (savoureuse composition du comédien Jean-Luc Borgeat), tandis que sa copine Frau Reich trouve un refuge de tout confort dans la voix chaude de la mezzo Eve-Maud Hubeaux, enfant du pays couronnée de nombreux prix internationaux. Le baryton Oliver Zwarg s’approprie les colères et les phobies du mari qui se croit cocu, Attilio Glaser, jeune ténor, fait rayonner les mots d’amour de Fenton dont s’abreuve la juvénile Anna de Céline Meillon tandis que Michael Tews joue les spectres du fruit défendu de sa voix faussement hallucinée.

Die lustigen Weibern von Windsor de Otto Nicolai, livret d’Hermann von Mosenthal d’après The Merry Wives of Windsor de Shakespeare. Orchestre de Chambre de Lausanne, direction Frank Beermann, chœur de l’Opéra de Lausanne dirigé par Véronique Carrot, mise en scène David Hermann, décors Rifail Adjarpasic, costumes Ariane, Isabell Unfried, lumières Fabrice Kebour. Avec Valentina Farcas, Eve-Maud Hubeaux, Michael Tews, Oliver Zwarg, Benoît Capt, Céline Mellon, Attilio Glaser, Stuart Patterson, Sacha Michon, Jean-Luc Borgeat .

Opéra de Lausanne , du 6 au 15 juin 2014.

+ 41 21 315 40 20 - www.opera-lausanne.ch

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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