Correspondance avec la Mouette : Anton Tchekhov –Lydia Mizinova
Tchekhov et Nina par eux-mêmes
- Publié par
- 10 février 2022
- Critiques
- Livres, CD, DVD
- 0
-
Nicols Struve transforme en livre un matériau dont il avait fait une pièce, Correspondance avec la Mouette : c’est une traduction de la plupart des lettres (il y en a d’autres, que parfois l’ouvrage propose en extraits dans les notes de bas de page) que s’échangèrent Anton Tchekhov et la comédienne Lydia Mizinova entre 1891 et 1900. Comédienne, cette Lydia qu’on appelait Lika ? Oui, elle participa à beaucoup de pièces mais fut d’abord enseignante avant de se jeter dans une vie frénétique où tout fut difficile. Elle était, selon divers témoignages, d’une beauté à couper le souffle.
Elle frappa tout de suite le regard de Tchekhov. Ils se virent beaucoup et s’écrivirent souvent. Mais quelle fut leur véritable relation ? C’est le mystère, le vertige sur lesquels se fonde cette correspondance. Ils ne semblent pas avoir été des amants sur un temps qui permettrait de parler de liaison. Mais ils s’adressent l’un à l’autre comme si le besoin de se dire mille choses de visu ou par la plume était totalement impérieux. Lika surtout réclame sans cesse des lettres. Anton, lui, laisse entendre parfois qu’il en a écrit suffisamment. Elle lutte contre un sentiment de solitude et de malheur sans doute plus imaginaire que réel. Lui, connu dans toute l’Europe pour ses récits et dont les premières pièces sont très attendues, a d’autres femmes et d’autres hantises à cultiver dans le tourbillon de la vie. Pourtant, il l’invite régulièrement chez lui. Mais leurs emplois du temps ne concordent pas souvent et chacun voit chez l’autre une mauvaise volonté alors qu’il n’y en a pas. Ils se chiffonnent, se menacent parfois, sans se dénaturer, en conservant la noblesse de leurs sentiments – alors que l’écrivain peut écrire à l’actrice : « Pourquoi vous fâchez-vous, insupportable petit melon » ? »
La résurrection de ces lettres dans leur triple rebond entre la supplique, la moquerie et l’heur de vivre ne crée pas une pièce de Tchekhov de plus. La pièce de Tchekhov, c’est La Mouette. Cela, c’est le terreau, la palpitation quotidienne, les grandeurs et les petitesses qui ne deviennent pas universelles comme dans la fiction. Le document est passionnant de par sa vérité et son décalage avec la pièce. Grâces soient rendues à Nicolas Struve et à la confection savante et méticuleuse de l’au-devant du miroir.
Photo DR.
Correspondance avec La Mouette : Anton Tchekhov –Lydia Mizinova, traduit du russe, annoté et présenté par Nicolas Struve. Editions Arléa, 200 pages, 20 euros.
Le spectacle que Nicolas Struve en a tiré, joué par lui-même et Stéphanie Schwartzbrod, est repris à Saint-Maur-des-Fossés (théâtre de l’Abbaye) les 9 et 10 avril 2022. (Voir la critique Corinne Denailles à la création, Webtheatre, 2020).