Critique – Opéra & Classique
Alcina de Georg Friedrich Haendel
Bonheur absolu
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- 22 mars 2018
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Un rendez-vous de l’exceptionnel. Une œuvre sublime mais rarement jouée, un orchestre inspiré, une mise en scène alliant intelligence et raffinement, une distribution étoilée… Au bout de quatre heures passées comme un souffle, prolongées par quinze minutes d’une ovation debout, on sort du Théâtre des Champs Elysées avec l’impression de marcher sur un nuage.
L’enjeu est de taille. Cette Alcina, dernier opus lyrique composé par Georg Friedrich Haendel (1685-1759) autour d’un personnage de magicienne puisée dans l’Orlando Furioso de l’Arioste se révèle un produit complexe à bien des égards. Par sa richesse musicale, l’incroyable diversité de ses fibres mélodiques, la luminosité de son éloquence et cette façon unique d’unir passion et galanterie.
Alcina est magicienne, elle vit et règne sur un domaine où tous les impossibles deviennent possibles. Quel lieu, autre que le théâtre, zone de tous ces possibles, pourrait le concrétiser ? C’est dans ses coulisses, sur sa scène, dans ses loges que Christof Loy, metteur en scène finement inspiré a placé son histoire, ses tourments, ses dérives.
D’un acte à l’autre, on longe, on pénètre, on survole les antres, les repaires, les refuges où l’ensorceleuse pratique ses marivaudage diaboliques. Dans les cordages des sous-sols, dans les loges tapissées de papier peint décrépi, dans les ateliers où sont empilés les décors. La promenade est semée de déclics qui illuminent un kaléidoscope de sensations et de souvenirs.
Qui est-elle cette drôle d’ensorceleuse qui par amour va peu à peu perdre les pouvoirs qui la rendaient inaccessible ? Elle était lointaine, planant haut dans les songes. Un mythe. Puis la voilà aux prises avec la passion, cette foule de sensations qui la pénètrent et la traversent comme un laser. Pour Ruggiero qui désormais occupe sa vie, squatte son inconscient.
Cecilia Bartoli est Alcina, elle se fond en elle, lui confie sa silhouette cambrée, lui prête ses dons de comédienne, lui offre la chaleur de sa voix, le velouté de ses graves, les éclairs finement taillés de ses aigus. Philippe Jaroussky, contre-ténor au timbre d’eau de source, tient la vedette à ses côtés, jouant de sa douceur, de sa plasticité, de son charme comme autant d’armes d’absolue séduction. Il y ajoute même des vertus de danseur, se mêlant en corps et cadence dans les joyeuses chorégraphies de Thomas Wilhelm.
Julie Fuchs était attendue pour Morgana, la petite sœur d’Alcina. En panne vocale, elle dut se contenter de jouer de jouer le personnage et d’en mimer les chants. Dans la fosse, la jeune hongroise Emöke Baráth lui a prêté les intimes clartés de son timbre de soprano. Bradamante hérite avec bonheur des onctuosités émises par la captivante mezzo arménienne Varduhi Abrahamyan. Christoph Strehl et Krzysztof Baczyk complètent en parfait sans faute la distribution.
Dans la fosse, souple, les doigts et le corps dansant Emmanuelle Haïm dirige en ferveur les instrumentistes du Concert d’Astrée, l’ensemble qu’elle fonda en l’an 2000. Elle les pilote en grande sœur affectueuse et vigilante, ils se laissent conduire en parfaite osmose et harmonie.
Alcina de Georg Friedrich Haendel, orchestre et solistes du Concert d’Astrée, direction Emmanuelle Haïm, mise en scène Christof Loy, scénographie Johannes Leiacker, costumes Ursula Renzenbrink, chorégraphie Thomas Wilhelm. Avec Cecilia Bartoli, Philippe Jaroussky, Emöke Baráth, Varduhi Abrahamyan, Christof Strehl, Krzysztof Baczyk.
Théâtre des Champs Elysées, du 14 au 20 mars 2018
01 49 52 50 50
Photos Vincent Pontet