AIX-EN-PROVENCE 2023 (3)

Le baryton Christian Gerhaher est déchirant dans l’impeccable « Wozzeck » mis en scène par Simon McBurney.

AIX-EN-PROVENCE 2023 (3)

Tout tourne autour de lui. Littéralement. Au centre des cercles concentriques qui glissent lentement sur le plateau de l’admirable Grand Théâtre de Provence, Wozzeck est de toutes les séquences de l’opéra en trois actes d’Alban Berg, chacun réparti en cinq tableaux. Sans être systématique, le procédé, très habilement mené, crée une sorte de gravitation autour du pauvre type qui, non content de s’attirer tous les malheurs, les reproduit sur les autres. Au bout d’une heure quarante d’un spectacle très fluide, hypnotique et fulgurant, on ressort abasourdi, ému et enthousiaste.

À n’en pas douter, cette nouvelle production du Festival d’Aix, rescapée de l’édition 2020 mise à mal par la pandémie, fera référence tant elle réunit d’excellence. Pour sa troisième mise en scène au festival après les mémorables Flûte enchantée (2014) et Rake’s Progress (2017), Simon McBurney, secondé par son inséparable frère Gerard à la dramaturgie, réussit à susciter l’empathie pour ce personnage déshumanisé, prototype de l’anti-héros moderne écrasé par le poids de réalités qui le dépassent. Conçu par Alban Berg au sortir de la boucherie traumatique de la Première Guerre mondiale, créé à Berlin en 1925, l’opéra conjugue avant-garde musicale et innovation scénique, recherche formelle et lyrisme, âpreté d’un destin sans issue et grotesque de certaines situations.

Engrenage sinistre

Inspiré de la pièce Woyzeck de Georg Büchner, laissée inachevée en 1836, à partir d’un fait divers sordide, le livret, écrit par le compositeur lui-même, déroule l’engrenage sinistre des rapports de domination qui broient Wozzeck, victime d’hallucinations, d’accès de violence incontrôlés. Brave type, le simple soldat chair à canon est successivement humilié par son Capitaine, utilisé comme cobaye par un inquiétant Docteur, trompé par sa bien-aimée, la prostituée Marie dont il a eu un fils « en dehors de la religion », battu par son rival le fringant Tambour-major. Seule consolation dans cet univers impitoyable, son ami Andres qui lui chante des chansons sans parvenir à le divertir.

La scénographie très noire de Miriam Buether et les lumières soignées de Paul Anderson créent d’admirables tableaux, faisant apparaitre/disparaitre les personnages dans des cadres toujours mouvants. Des éléments de décor sortent comme par magie de l’ombre avant d’y retourner. Quelques vidéos distillées avec parcimonie déroulent des gros plans sur telle ou telle action. À la fois fixe et mobile, le mur d’immeubles berlinois du fond de scène forme tour à tour la cour vivante d’une maison percée de fenêtres ou une barre infranchissable fermant l’horizon. D’inspiration expressionniste, certains tableaux évoquent les dessins de George Grosz. Comme la scène du bal à l’auberge où artisans, filles et soldats sont pris de frénésie au rythme irrésistible de la musique.

LE Wozzeck du moment

Cette musique, Simon Rattle à la tête du London Symphony Orchestra l’empoigne à bras le corps. Le chef, qui marque à chaque fois de son empreinte le Festival d’Aix (la Tétralogie de Wagner de 2006 à 2009, Tristan et Isolde en 2021), allie la grande précision de rythme et d’intonation exigée par la partition, et le romantisme passionné qu’elle infuse. Il donne sa pleine mesure dans les interludes purement musicaux qui ponctuent l’action.

Dans le rôle-titre, le baryton allemand Christian Gerhaher s’affirme comme LE Wozzeck du moment. Spécialiste des lieder (il a enregistré l’intégralité des lieder de Schumann), il développe avec aisance le sprechgesang (parlé-chanté) sur un spectre très large allant de l’abattement à la rage. Malgré sa carrure imposante, le chanteur-acteur semble ployer sous le poids de toute la misère du monde. En revanche, la soprano suédoise dans le rôle de Marie, Malin Byström, montre une puissance de chant surprenante en contraste avec sa frêle silhouette. Dans les rôles secondaires, les chanteurs, britanniques pour la plupart, marquent d’une touche personnelle leur rôle respectif : la basse Brindley Sherratt (l’obsessionnel Docteur), les ténors Thomas Blondelle (le fat Tambour-major) et Peter Hoare (l’insupportable Capitaine). Et tous les autres qui composent la cohorte bigarrée entourant Wozzeck.

photo : Monika Rittershaus

Wozzeck d’Alban Berg, Grand Théâtre de Provence jusqu’au 21 juillet, 20h (www.festival-aix.com).
Direction musicale : Sir Simon Rattle. Mise en scène : Simon McBurney. Scénographie : Miriam Buether. Costumes : Christina Cunningham. Lumière : Paul Anderson. Chorégraphie, collaboration à la mis en scène : Leah Hausman. Vidéo : Will Duke. Dramaturgie : Gerard McBurney. Collaboration à la mise en scène : Sasha Milavic-Davies. Avec Christian Gerhaher, Malin Byström, Thomas Blondelle, Brindley Sherratt, Peter Hoare, Kang Wang, Héloise Mas. Chœur Estonian Philharmonic Chamber Choir, Maîtrise des Bouches-du-Rhône, London Symphony Orchestra.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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