Paris, Comédie-Française jusqu’au 12 juin 2012

Une puce, épargnez-la de Naomi Wallace

Un huis clos politique et intime

Une puce, épargnez-la de Naomi Wallace

Peu connue en France, la dramaturge et poétesse américaine quinquagénaire Naomi Wallace fait son entrée au répertoire de la Comédie-Française, avec cette pièce datée de 1995, dont le titre étrange trouve son origine dans l’extrait d’un vers du poète et théologien anglais John Donne (1572 – 1631), “ one flea spare ”. Londres en 1665, la Grande Peste a envahi la ville et fait de nombreux morts. Pour lutter contre la contagion, la mise en quarantaine est décrétée. Isolés dans leur maison, le riche bourgeois Snelgrave et son épouse Darcy, vivent en solitaires. Ils ont perdu leurs domestiques victimes de l’épidémie. Un jeune marin déserteur, Bunce, et Morse, une adolescente de douze ans se prétendant issue d’une grande famille, réussissent à s’introduire dans la demeure placée sous le contrôle d’un gardien inquiétant, Kabe, qui bloque toute tentative de sortie.

Cette situation conduit à réunir des personnages issus de couches sociales différentes qui ne se seraient sans doute jamais rencontrés sans la menace de pandémie environnante. Elle les contraint à une cohabitation durant laquelle chacun révèle sa condition, livre ses fractures et ses convictions. Sans fard, puisque la mort rôde et “ n’épargne personne”. La rencontre du riche couple et des jeunes gens issus du peuple tend à exposer les inégalités de classe et à travers elles les comportements, pouvoirs ou exploitations qu’elles engendrent. Sur ce thème, une démonstration qui, aujourd’hui et sous cette forme, a un peu trop tendance à enfoncer des portes ouvertes. L’autre aspect abordé par la pièce se revèle moins convenu dans sa plongée dans l’intime de chacun, porteur de frustrations, de désirs inassouvis, de sexualité étouffée ou refoulée et de quête d’amour. Dans l’évolution des rapports entre les protagonistes se révèlent la complexité et l’ambigüité des sentiments humains qui traversent les frontières poreuses des conditions sociales. Pour beaucoup, cette création sera l’occasion de découvrir l’écriture baroque et poétique de Naomi Wallace, pour laquelle la traduction de Dominique Hollier restitue les contrastes et les colorations troublantes.

Anne-Laure Liégeois, signe la mise en scène et la scénographie de cette œuvre avec une maîtrise attentive et rigoureuse sans pouvoir faire totalement disparaître la part de ses aspects datés, mais en privilégiant de manière efficace son écoute et la lisibilité de ses personnages. A travers une vingtaine de séquences introduites par les explosions lumineuses des feux de la rampe, elle conduit l’évolution et la progression des trajectoires de chacun d’eux dans une tonalité adaptée aux climats qui traversent la pièce et à sa relation avec la mort. Un univers matérialisé par un décor gris et dépouillé, qui occulte l’extérieur et conforte la notion d’enfermement, tant physique que mental, avant de s’ouvrir sur lui-même lorsque les esprits se libèrent accompagnés d’une forme d’espoir. Avec les costumes (Anne-Laure Liégeois et Renato Bianchi) joliment représentatifs de l’époque évoquée et sous les lumières de Marion Hewlett, s’affiche une esthétique en filiation avec la peinture hollandaise du XVIIe siècle, qui bascule dans une ambiance mortuaire avec l’apparition métaphorique de corbeaux.

Mais la saveur théâtrale de cette représentation tient principalement dans l’interprétation des comédiens du Français. Guillaume Galienne habite par son phrasé et sa gestuelle la raideur puritaine de Snelgrave dont il délivre avec densité l’hypocrisie et les obsessions ; Félicien Juttner incarne un Bruce plein de vitalité, porté par le souffle de la jeunesse et les perspectives d’avenir qui l’accompagnent encore ; et Christian Gonon prête à l’ambigü Kabe des allures de messager issu des ténèbres. A leurs côtés, les rôles de femmes prennent un éclat particulier avec les contributions de Catherine Sauval, majestueuse Darcy assumant ses blessures et ses élans jusque dans l’adultère avec une grande dignité, et surtout Julie Sicard, pétillante et savoureuse Morse (la puce) qui exprime avec nuances et dynamisme les ressorts de cette fausse ingénue qui noue des liens entre la vie et la mort.

Texte publié aux Editions Théâtrales

Une puce, épargnez la, de Naomi Wallace, traduction de Dominique Hollier, mise en scène et scénographie Anne-Laure Liégeois, avec Catherine Sauval, Guillaume Gallienne, Christian Gonon, Julie Sicard, Félicien Juttner. Lumières Marion Hewlett, costumes Anne-Laure Liégeois et Renato Bianchi, réalisation sonore François Leymarie. Durée 2 heures. Comédie – Française au Théâtre éphémère, en alternance jusqu’au 12 juin 2012.

© Christophe Raynaud de Lage

A propos de l'auteur
Jean Chollet
Jean Chollet

Jean Chollet, diplômé en études théâtrales, journaliste et critique dramatique, il a collaboré à de nombreuses publications françaises et étrangères. Directeur de publication de la revue Actualité de la Scénographie de 1983 à 2005, il est l’auteur de...

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