Andando Lorca 1936 de Daniel Sans Pedro

Les femmes sur le chemin de l’émancipation

Andando Lorca 1936 de Daniel Sans Pedro

Andando est un concert théâtral conçu par Daniel San Pedro avec six comédiennes chanteuses et trois musiciens, autour de la poésie de Federico Garcia Lorca et sur la musique de Pascal Sangla.

Ayant renoncé à une carrière musicale de pianiste concertiste, la musique est pour l’auteur Lorca (1898-1936) une expression artistique qui côtoie - soutien et inspiration - celle privilégiée de la poésie. Aussi a-t-il été toute sa vie passionné de musique populaire, de flamenco et de gospel. Et chez lui, solidarité avec les plus faibles et espérance historique et politique d’un monde plus juste.

Ce mois d’été de juillet 1936 sonne le début de la guerre civile, quand Federico rentre à Grenade, malgré les avis de tous ses amis. Il est arrêté un mois plus tard, le 18 août 1936, et fusillé le lendemain à l’aube.

Accompagné de six figures féminines de son oeuvre, Lorca raconte l’Espagne de l’été 1936, entre la modernité et la liberté, et les traditions et le conservatisme, avant la chute dans la guerre civile.

La poésie et le théâtre sont ancrés dans la réalité historique et sociale. Un réalisme poétique qui donne vie au Romancero gitano (1928) ou au Poète à New York, à ses pièces célèbres : Noces de sang (1933), Yerma (1935), Dona Rosita la célibataire (1935), La Maison de Bernarda Alba (1936).

Le poète et dramaturge se met à l’écoute des êtres, les hommes, mais particulièrement les femmes, en une inspiration avant-gardiste et prémonitoire pour les mieux faire entendre à leur tour.

Dans l’épanouissement culturel de la II è République, Lorca connaît une période heureuse et active ; il écrit, il est joué, il dirige à travers l’Espagne la compagnie théâtrale universitaire La Barraca. Ecrivain, il prend parti devant la montée des fascismes, contre la guerre et l’oppression.
Sur la scène, à l’aube du 19 juillet 1936, écrit le metteur en scène Daniel San Pedro, dans un village espagnol, on enterre Bernarda Alba : ses filles sont présentes, comme d’autres femmes du village et quelques hommes : soit la fin d’un monde, l’enterrement de la matriarche et dictateure.

« Dans les tours Jaunes, Les cloches sonnent le glas (…) Par un chemin s’en va La mort, couronnée De fleurs d’oranger fanées. Elle chante et chante Une chanson Sur sa viole blanche, Elle chante, chante, chante (…) Le vent dans la poussière Sculpte des proues d’argent. »
(Clameur, Anthologie bilingue de la poésie espagnole, Bibliothèque de La Pléiade.)

Une mort théâtralisée dans laquelle est perçu un relent de l’Espagne traditionnelle, arcboutée contre la nouvelle République et le vent de liberté qui souffle depuis 1930. La maison s’ouvre, et soudain les filles sont libres enfin, responsables d’elles-mêmes et de leurs destins.

Les femmes se défont de leurs habits de deuil, ouvrent les vieux coffres de bois : elles en sortent tout ce qu’elles ont patiemment et artistiquement brodé depuis tant d’années. Elles sont prises d’une liberté nouvelle qui leur fait peur, les grise, les survolte, les intimide, les rend joyeuses.

Dans la scénographie d’Aurélie Maestre, les costumes de Caroline de Vivaise, apparaît près du mur de lointain, un panneau transparent de dentelle noire et brodée de fleurs, qui descendra des cintres plus tard, replié, laissant auparavant deviner des bouquets de flammes de bougies qui scintillent dans la nuit religieuse et sévère des obsèques, le cercueil venu de la salle sur la scène.

Des mantilles noires pour les tenues espagnoles traditionnelles couvrant le visage et tombant sur les épaules ; grand encensoir, glas sonnant le deuil, images sacrées tant baroques que rigoristes.

Pour les filles, après l’enterrement et la fête, vient le temps du départ, l’invention de vies nouvelles.
Au milieu des bruits de guerre, il revient à chacune de choisir son camp - engagement politique, artistique, goût du voyage, mort, passion sentimentale : le fascisme, la résistance, l’émigration en Amérique pour faire du théâtre, les ordres religieux, l’engagement intellectuel féminin, l’Amour.

Français, espagnol, voix parlées et voix chantées, tessitures variées et sonorités différentes, la rencontre est osée et réussie avec cet univers poétique à travers des tempéraments bien frappés : Camélia Jordan, Audrey Bonnet, Estelle Meyer, Johanna Nizard, Aymeline Alix. Et sans oublier la présence de Liv Heym, soliste de violon, qui fait partie de cet ensemble théâtral, choral et musical.

Longues chevelures souples quand les chignons ont été défaits, tenues libérées d’intérieur - les costumes sont de Caroline de Vivaise -, bien-être de se sentir dans la proximité des autres, la petite communauté confidentielle de ces femmes facétieuses se moque en souriant du pianiste, Pascal Sangla, du joueur de luth, guitare, contrebasse et percussions, Mohamed el Menjra.

Le personnage d’Aymeline Alix, un peu en retrait, symbolise l’engagement littéraire et politique ; celui d’Audrey Bonnet représente le désir d’aller plus loin à New York pour servir son art ; celui de Camélia Jordana est de chanter son pays et ses racines ; celui d’Estelle Meyer, couronne de fleurs sur la tête et figure de vierge servante de Dieu, s’engage dans les ordres religieux, après avoir chanté l’émancipation, la liberté et l’amour ; celui tonique de Johanan Nizard construit l’image d’une femme décidée qui prend les armes et va défendre son peuple et le monde, contre l’ignominie.

Un aperçu de la dignité féminine, active et investie, dans la résonance de la poésie de Lorca. Fortes, éveillées, conscientes de leur présence au monde, ces femmes sont d’abord elles-mêmes.

Andando Lorca 1936, textes Federico Garcia Lorca, mise en scène, adaptation et traduction Daniel San Pedro, composition, direction musicale Pascal Sangla, chorégraphie Ruben Molina.
Du 2 au 12 février 2022, du mardi au samedi 20h, dimanche 16h, Théâtre des Bouffes du Nord, 37 (bis), boulevard de La Chapelle 75010, Paris. Tél : 01 46 07 34 50 www.bouffesdunord.com Le 15 février au Figuier Blanc, Argenteuil (Val d’Oise). Le 16 février à L’Avant-Seine, Colombes (Hauts-de-Seine). Le 17 février, Théâtre Jacques Carat, Cachan (Val-de-Marne). Le 22 février au Théâtre, Scène nationale de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Le 24 février, au Grand R, Scène nationale, La Roche-sur-Yon (Vendée). Le 26 février, Rive Gauche, Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime). Le 7 juin, Festival d’Anjou, Château du Plessis-Macé (Maine-et-Loire).
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

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Véronique Hotte

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