Paris - Opéra Comique - jusqu’au 20 juin 2008

Porgy and Bess de George Gershwin

L’universalité des chants de négritude

Porgy and Bess de George Gershwin

ll est des airs qui font chalouper cœur et corps…Summertime, and the livin’ is easy… It’s a long way to get there, I have plenty of nothing, les “tubes” du “musical” de George Gershwin révélés à Boston à la mi-temps des années 30 ont fait le tour du monde et se sont incrustés dans les mémoires. Il y avait longtemps que ce Porgy and Bess n’avait plus été présenté à Paris. C’est chose faite enfin dans une nouvelle production de l’Opéra Comique à laquelle participent un orchestre et un chœur venus des Etats Unis, une chorégraphe metteur scène sud-africaine, un chef anglais et une distribution à 100% d’origine. Seuls les décors, les costumes, les lumières et la vidéo sont assurés par des artistes du cru français.

Etrange coïncidence de temps et d’espaces… De 1935 à 2008, les chemins de la négritude américaine auront franchi d’étranges obstacles. De George Gershwin qui s’en fit le porte-parole à Barack Obama qui vient d’arracher l’investiture du parti démocrate en vue de la prochaine élection présidentielle, que de chemins parcourus ! Quatre vingt ans plus tard, et quarante seulement après l’assassinat de Martin Luther King qui revendiquait l’égalité des droits et la dignité pour les Noirs, c’est un métis, né d’un père kenyan et d’une américaine à peau blanche qui se trouve projeté au premier rang de l’avenir américain.

Objet lyrique mal identifié

Objet lyrique mal identifié – opéra ? drame musical ? comédie musicale ? - Porgy and Bess composé d’après un roman de DuBose Heyward paru dix ans plus tôt, signe en fait l’acte fondateur du théâtre lyrique américain. Jazz, gospels et negro spirituals y sont griffés de sons divers où se croisent les influences des contemporains européens comme Ravel. Gershwin, né à New York de parents juifs émigrés de Russie, musicien autodidacte, fut donc le premier à s’intéresser à la misère des noirs libérés de l’esclavage mais parqués dans leurs ghettos, à dénoncer le racisme et ses lois ségrégationnistes et à les transcrire dans des chants d’espérance. L’histoire se passe à Charleston, petit port de Caroline du Sud miné par le chômage, la violence et la drogue. Nous sommes dans le quartier catfish Row, des poissons-chats…

Un espace blanc de tous les possibles

Sur une toile conique descendant d’un rail circulaire, des carpes de toutes les couleurs dansent un ballet aquatique avant même que retentissent les premières mesures du légendaire Summertime. Le drame d’amour, de compassion et de dérive se déroulera dans cet espace blanc de tous les possibles, sur lesquelles seront projetées des images filmées en direct et d’autres tirées de documents tournés à Kiptown, un « township » aux portes de Soweto en Afrique du Sud. Robyn Orlin, metteur en scène, est de là-bas, où les souffrances racistes et la misère persistent au-delà de l’apartheid. Peu de décors, peu d’accessoires, conformément directives de Gershwin qui imposait une distribution d’interprètes noirs, chose presque inconcevable à l’époque où les blancs, comme Al Johnson, se grimaient de charbon ou de cirage pour les représenter. Toutes sortes de trouvailles dignes de la commedia dell’arte émaillent la mise en scène, comme ce ballet de parasols blancs qui accompagne le pique nique dominical des exclus de l’american way of life. La chorégraphie forme un patchwork de déhanchements et de sensualité, du blues au hip hop.

Les sonorités de l’orchestre sont sans doute trop généreuses pour l’acoustique de l’opéra comique où la musique de Gershwin explose jusqu’au cintres, mais elle est servie avec un punch communicatif sous la baguette du très britannique - et très noir –Wayne Marshall. Le jeu des chanteurs acteurs est juste et engagé. L’humour est au rendez-vous autour notamment du personnage de Sportin’Life, le dealer déjanté campé par un Jermaine Smith bondissant et désarticulé. Les voix sont chaudes et amples, le baryton basse Kevin Short incarne un Porgy estropié qui vit la tête haute de mendicité et d’amour pour la Bess fragile de la soprano Indira Mahajan. Daniel Washington a la carrure et la violence la brute Crown, Clara la finesse de Laquita Mitchell, Angela Renée Simpson, soprano aux graves de braise propulse Serena au zénith du « negro spiritual ». Une merveille.

Porgy and Bess, opéra en trois actes de George Gershwin, DuBose Heyward, Dorothy Heyward et Ira Gershwin. New World Symphony America’s Orchestral Academy, direction Wayne Marshall, the Atlanta Opera Chorus direction Walter Huff, mise en scène Robyn Orlin, scénographie Alexandre de Dardel, vidéo Philippe Lainé, costumes Olivier Bériot, lumières Marion Hewlett.
Avec Kevin Short, Indira Mahajab, Daniel Washington, Angela Renée Simpson, Laquita Mitchell, Bonita Hyman, Eric Greene, Jermaine Smith….
Paris Opéra Comique, les 2, 4, 6, 10, 12, 14, 16, 20 juin à 20h, dimanche 8 à 16h.
0825 01 01 23 www.opera-comique.com
Théâtre de Caen les 26, 28, 30 juin
Grand Théâtre de la ville de Luxembourg les 7, 9 & 11 octobre
En version de concert le 22 juin dans le cadre du Festival International de Musique et de Danse de Granada en Espagne.

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook