Macbeth de Giuseppe Verdi

Finalement une vision vraisemblable de l’œuvre impossible de Giuseppe Verdi

 Macbeth de Giuseppe Verdi

Rapprocher l’opéra Macbeth de Giuseppe Verdi de la pièce de William Shakespeare dont il se réclame, représente une vraie gageure tant le style lumineux de la musique dénature le fond obscur et désespérée du drame shakespearien (Voir WT des 23 octobre, 17 décembre 2012). Pour réaliser ce miracle théâtral il faut, avant tout, réunir les artistes qui partagent une profonde connaissance du sujet, disposent du savoir-faire dans l’art lyrique et, plus difficile, mettent l’œuvre au centre du travail, et non leur propre ego.

La coproduction de l’Opéra national de Lorraine et de l’Opéra de Bordeaux, a réuni les talents idoines et a insufflé l’esprit d’équipe éclairé qui lui ont permis de réussir ce pari impossible. A Nancy tout a commencé dans la fosse, avant même le lever du rideau.

Roberto Rizzi Brignoli a ouvert le feu.

Dès l’ouverture, on a ressenti d’emblée et tout à la fois, l’humidité des sombres forêts écossaises peuplées de créatures mystérieuses, l’imminence d’évènements cruels, la froideur d’un monde sans amour, en somme une inquiétante sensation de danger. Roberto Brizzi Rignoli s’est peu produit en France. Il a laissé cependant un souvenir prégnant de son passage à Lille (Macbeth, mai 2011). Il confirme à Nancy sa valeur avec cette nouvelle production de l’œuvre. Sous ses ordres, l’Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy s’est littéralement transcendé. Le chef italien, en orfèvre avéré, a tiré de la partition de Giuseppe Verdi la noirceur shakespearienne des personnages par un bon dosage des registres graves ; il a mis en relief les rares moments d’exaltation monarchique par usage faussement triomphal des métaux, il a exprimé aussi la violence latente et présente des situations dramatiques par des arrêts péremptoires en fin de phrase, et même par de subtiles changements de rythme et de modulation des phrases musicales elles-mêmes. Tandis que la main droite du maestro battait, inflexible, la mesure -sa baguette apparaissant et disparaissant comme par magie-, sa main gauche pointait du doigt, freinait, accélérait tel ou tel pupitre avec la précision d’une montre suisse. Les silences allongés de quelques dixièmes de seconde maintenaient en haleine la salle tout entière, les interminables points d’orgue imposés à l’orchestre arrondissaient les prestations des chanteurs. Lorsque son regard parcourait la scène, on pouvait observer à quel point les chanteurs suivaient ses indications avec l’intelligence de l’élève qui a compris l’intérêt de suivre les conseils d’un professeur hors-pair.

Jean-Louis Martinoty s’est bien gardé de sortir du cadre du conte.

Macbeth de Verdi

Dès le lever du rideau on a tout de suite compris que nous nous trouvions dans une forêt. Une forêt impénétrable peuplée d’arbres singuliers aux formes féminines, avec de mystérieux parallélépipèdes, aux surfaces polies où se reflétaient les branchages et les feuillages sombres. Des morts jonchaient le sol. Une terrible bataille venait de s’achever et les vainqueurs fêtaient la victoire, l’épée encore en sang à la main. La forêt s’est ensuite transformée en château, les parallélépipèdes prenant le dessus, et le régicide a donc pu avoir lieu. Jean-Louis Martinoty a joué cette fois-ci la carte de l’orthodoxie : Macbeth fait partie des œuvres –telle Tosca de Giacomo Puccini ou Andréa Chénier d’Umberto Giordano- où le respect à la lettre du libretto est la seule option possible. Il a donc demandé à Bernard Arnould, son décorateur de longue date, de styliser les arrière-fonds du drame, sans sortir d’une reconstruction forcément théâtrale du Moyen Âge. Le décorateur s’est exécuté avec grand professionnalisme et, en complicité avec le costumier Daniel Ogier, a créé un monde féérique habité, dans la forêt comme dans le château, par d’insaisissables esprits –une vraie trouvaille- qui arrêtaient de temps à autre leurs déplacements afin de prédire l’avenir aux plus puissants. Comme à son habitude le metteur en scène a travaillé les dires et les gestes du moindre personnage –il adore ce travail- et, fidèle au livret, il n’a pas négligé l’assassinat de la famille innocente de Macduff, et les lamentations qui ont suivi le drame, mettant en lumière le seul moment de tendresse d’une œuvre brutale et sans amour.

Cerise sur le gâteau, les voix ont, elles aussi, été au rendez-vous.

Macbeth de Verdi

Dans un contexte aussi favorable, enveloppées par l’atmosphère musicale inusitée et vigilante, les voix se sont exprimées à leur meilleur niveau ; il était impossible qu’il en fût autrement. Tout d’abord celle de Giovanni Meoni, dans le rôle-titre, toujours juste, autoritaire ou hésitante suivant les circonstances ; si le timbre du baryton a été peut-être un peu clair pour le rôle, cela a accentué le caractère double du personnage et a été largement compensé par l’expression rude de certains passages. Et on pourrait dire la même chose du timbre de Jennifer Check, mais sa puissante interprétation de la diabolique Lady a provoqué des décharges émotionnelles qui ont cloué à plusieurs reprises le public dans son fauteuil. L’américain Brian Kontes, au timbre opaque, doté d’une émission assurée et bien à l’aise dans le registre grave, a campé un Banquo très convaincant. Le moment le plus poignant de la soirée fut celui où Giuseppe Talamo, dans le rôle de Macduff, exprima devant les corps de sa famille assassinée, avec un grand sens du legato, son inconsolable chagrin. En revanche il sut se montrer vocalement et physiquement terrible au moment de la vengeance.

Macbeth, opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi avec livret de Francesco Maria Piave et Andrea Maffei d’après la pièce éponyme de William Shakespeare.

Coproduction de l’Opéra national de Bordeaux et de l’Opéra national de Lorraine. Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy, direction Roberto Rizzi Brignoli. Chœurs de L’Opéra national de Lorraine et de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropol. Mise en scène Jean-Louis Martinoty, décors Bernard Arnould, costumes Daniel Ogier, lumières François Thouret, vidéos Gilles Papain. Avec : Giovanni Meoni, Jennifer Check, Brian Kontes, Giuseppe Talamo, Mauricio Pace, Michèle Lagrange, Marco Gemini, David Richards.

Opéra national de Lorraine les 1, 3, 5, 7, 10 et 12 février

1, RUE Sainte CATHERINE
54000 NANCY
Tél. 03 83 89 30 60
www.opera-national-lorraine.fr

Photos : Opéra national de Lorraine

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

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