Paris, Odéon-Théâtre de l’Europe

Le Prix Martin d’Eugène Labiche

Une amitié particulière

Le Prix Martin d'Eugène Labiche

Une partie de bésigue, ce jeu de cartes en vogue au XIXe siècle, qui associe le valet de carreau à la dame de pique, lance cette comédie méconnue d’Eugène Labiche, écrite avec la complicité de l’écrivain Emile Augier. Elle fut présentée pour la première fois au Théâtre du Palais Royal le 5 février 1876. L’allusion au couple formé sur le tapis introduit la présence de trois autres, respectivement composés de jeunes mariés, d’un homme et d’une femme en pleine maturité, et de deux amis à la retraite. Leurs rapports et les intrigues qui les accompagnent s’articulent autour de Ferdinand Martin, bourgeois parisien flanqué de son frère de lait Pionceux, dont il a fait son domestique. Il est cocufié par son meilleur ami Agénor Montgommier, son infortune lui étant révélée par un cousin vindicatif venu d’Amérique centrale, Hernandez Martinez, qui lui conseille de tuer son rival. Autour de cette situation s’engage, dans une mécanique bien huilée, le projet d’un sombre dessein qui conduit les personnages de Paris aux Alpes suisses via Chamonix, où tout ce petit monde va révéler ses aspirations, contradictions et frustrations, concernant sa propre sexualité. Elle se complique encore lorsque Hernandez devient l’amant de la femme de Martin, Loïsa. Ce qui donne l’idée à Martin de créer son Prix à l’intention de “l’auteur du meilleur mémoire sur l’infamie qu’il y a à détourner la femme de son meilleur ami.”. Si le désir et le sexe sont au centre de cette pièce en trois actes, celle-ci n’entre pas pour autant dans le domaine du vaudeville traditionnel, mais tient davantage de la comédie de mœurs grinçante pour peindre une société bourgeoise coincée dans ses certitudes, ses préjugés et ses hypocrisies.

C est cet aspect qu’éclaire avec finesse la mise en scène de Peter Stein, dont la lecture respectueuse de la pièce ménage son ironie cruelle et accompagne les tribulations des personnages sans surcharge incongrue, mais avec une forme d’empathie mélancolique attachante. Si la représentation semble parfois manquer de rythme, c’est pour mieux faire savourer les répliques jubilatoires qui déclenchent les rires et conduisent aux lisières de l’absurde. Le décor du scénographe autrichien Ferdinand Woergerbauer porte les références sociales des intérieurs évoqués, dont les localisations successives sont figurées par des photographies en surplomb de la scène. Sous la conduite du metteur en scène – grand directeur d’acteurs – et avec les costumes de Anna Maria Heinreich et les maquillages de Cécile Kretschmar, l’ensemble de l’interprétation apporte des colorations savoureuses aux personnages. Jacques Weber (Martin) révèle avec densité sous sa silhouette postiche, qui l’apparente à un dessin de Daumier, un bourgeois tiraillé entre ses sentiments et ses frustrations sans grossir le trait. Laurent Stocker (Agenor) magnifique en ami culpabilisé et empreint d’une fragilité palpable. Jean-Damien Barbin (Pionceux) apporte avec talent à ce rôle en retrait une force comique jubilatoire. Avec eux et leurs complices, un spectacle qui permet d’échapper sans remords à la morosité ambiante.

© Pascal Victor

Le Prix Martin d’Eugène Labiche, mise en scène Peter Stein, avec Jean-Damien Barbin, Rosa Bursztein, Julien Campani, Pedro Casablanc, Christine Citti, Manon Combes, Dimitri Radochevitch, Laurent Stocker, Jacques Weber. Décor Ferdinand Woegerbauer, costumes Anna Maria Heinreich, lumière Joachim Barth, maquillage/coiffure Cécile Kretschmar. Durée 2 h 20 avec entracte. Odéon-Théâtre de l’Europe jusqu’au 5 mai 2013.

A propos de l'auteur
Jean Chollet
Jean Chollet

Jean Chollet, diplômé en études théâtrales, journaliste et critique dramatique, il a collaboré à de nombreuses publications françaises et étrangères. Directeur de publication de la revue Actualité de la Scénographie de 1983 à 2005, il est l’auteur de...

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1 Message

  • Le Prix Martin d’Eugène Labiche 18 avril 2013 15:52, par Laurence Cirba@

    Le Prix Martin. Labiche. Mise en scène Peter Stein.
    Bien aimé un jeu appuyé comme le demande le style de la pièce sans être pour autant caricatural à l’excès. Peter Stein a trouvé la juste mesure. La mise en scène laisse apparaître au-delà de l’anecdote les sous-entendus du texte (Les rapports sociaux entre les bourgeois et le serviteur. le rapport à la sexualité : amour / amitié / sexualité ou attrait sexuel). Qu’est ce qui finalement compte le plus ? C’est aussi fonction de l’âge et donc évocation du temps.
    Beaucoup aimé le ralenti de la fin dans la partie de cartes = tout continue ; représentation du TEMPS qui passe et aussi de la matérialité de l’instant même.
    Les comédiens sont tous bons et la distribution excellente. J’ai particulièrement aimé le jeu de J-D Barbin

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