Paris, Odéon-Théâtre de l’Europe

La Barque le soir de Tarjei Vesaas

Troublante et fascinante navigation intérieure

La Barque le soir de Tarjei Vesaas

Depuis plusieurs années, Claude Régy entretient une relation privilégiée avec la littérature norvégienne. Après Jon Fosse et Arne Lyre par le passé, il renoue avec l’écriture de Tarjei Vesaas (1897 -1970) déjà abordée avec réussite en 2010 pour Brume de Dieu, pièce issue de son roman Les Oiseaux. Cette fois il adapte un chapitre de son dernier ouvrage, La Barque du soir (1968). Pour un temps encore en vie, un homme accroché d’un bras à un tronc d’arbre flottant sur un fleuve, dérive au fil du courant. Dans cette situation extrême, “ il reste désemparé, il ne sait pas ce qui est dessus et ce qui est dessous ”, mais livre une succession d’évocations et de souvenirs issus de son expérience de vie, avec les pensées ou réflexions qu’elle lui a suscitées, à travers une relation avec la nature et des rencontres avec les animaux, entrainant lentement une acceptation de la mort. Avec une force poétique suggestive, au croisement du réel et du rêve, du symbolisme et de l’allégorie, dans un étonnant jeu de miroirs, se révèlent l’angoisse de l’invisible et la prise de conscience de la solitude humaine, en côtoyant les frontières de l’inconscient de manière alternée et mystérieuse. « Ne pas comprendre, mais être à proximité de ce qui se passe. Ne pas essayer de comprendre le grand branchage sous la terre. Là où des lacs éclatent en sources innombrables qui à leur tour éclatent en sources innombrables et finalement en sources indispensablement petites – tandis que les assoiffés restent assoiffés derrière les assoiffés. » écrit Vesaas.

Tout commence par le silence. Celui demandé au petit nombre de spectateurs conviés pour s’apaiser, en provoquant une attente qui stimule le désir d’écoute. Noir. Lentement, une étrange lueur envahit le plateau. On distingue à peine l’environnement spatial composé par Sallahdy Khatir, qui révèlera une part de son mystère et de sa finesse plastique évocatrice sous les infimes variations des lumières arachnéennes de Rémi Godfroy. Un homme immobile fait face au public. Son visage s’anime, révélateur des sentiments et des inquiétudes qui le traversent. D’abord muet, regard perdu, rictus ou bouche ouverte, flottant entre deux mondes, il distille progressivement les mots de Vasaas avec une lenteur adaptée à leur perception et à leur écoute. En croisant les ruptures et les rythmes et surtout les silences qui prolongent leur portée et laissent le spectateur toujours en éveil. Fidèle interprète de Claude Régy depuis plusieurs années, Yann Boudaud est un saisissant et magnifique « passeur » de cette écriture, qui semble traverser son corps et engager ses mouvements signifiants. Il trouvera une forme de sauvetage et de renaissance auprès de deux silhouettes issues des brumes environnantes (Olivier Bonnefoy et Nichan Moumdjian) qui clôturent cette expérience sensorielle proche d’un rêve éveillé.
Les fidèles de Claude Régy ne seront pas surpris par les formes et l’esthétique utilisées, puisqu’elles sont parties intégrantes de son langage théâtral dans ses tentatives de repousser les limites de la représentation. Mais, ils pourront une nouvelle fois saluer l’exigence ambitieuse et la maîtrise d’un jeune homme de 88 ans, qui, loin des modes, demeure une référence pour toute une génération de créateurs.

A lire : La Brûlure du monde (Les Solitaires intempestifs) et Dans le désordre (Actes Sud) de Claude Régy, Prix du Syndicat de la Critique 2011-2012.

©Pascal Victor

La Barque le soir de Tarjei Vesaas, adaptation et mise en scène Claude Régy, traduction Régis Boyer (Editions José Corti), avec Yann Boudaud, Olivier Bonnefoy, Nichan Moumdjian. Scénographie Sallahdyn Khatir, lumière Remi Godfroy, son Philippe Cachia . Durée : 1 h 20. Odéon – Théâtre de l’Europe avec le Festival d’automne jusqu’au 3 novembre 2012.

En tournée
Théâtre national de Toulouse et Théâtre Garonne du 13 au 24 novembre, Comédie de Reims du 5 au 8 décembre 2012, CDDB Théâtre du 18 au 25 janvier, CDN Orléans-Loiret-Centre du 6 au 15 février 2013.

A propos de l'auteur
Jean Chollet
Jean Chollet

Jean Chollet, diplômé en études théâtrales, journaliste et critique dramatique, il a collaboré à de nombreuses publications françaises et étrangères. Directeur de publication de la revue Actualité de la Scénographie de 1983 à 2005, il est l’auteur de...

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