Critique – Opéra-Classique

WERTHER de Jules Massenet

Reprise d’une production devenue modèle avec des voix encore peu entendues sur la scène de notre Opéra National parisien

 WERTHER de Jules Massenet

A sa création en 2010 la mise en scène de ce chef d’œuvre de musique française que Jules Massenet (1842-1912) tira des «  Souffrances du jeune Werther » de Goethe par le cinéaste Benoît Jacquot avait semblé trop sage : l’élégance des décors de Charles Edwards, leur illustration lisible des lieux semblait relever d’un premier degré qui à l’époque semblait à contre-courant des « relectures » en vogue.

Six ans plus tard la sensation inverse s’impose : la simplicité des lignes en fuite sur des espaces invisibles, escaliers, bosquets, les pastels tourmentés de cieux d’orages, les intérieurs, salon bourgeois, mansarde en soupente, le mobilier et les costumes conformes à l’époque, toute cette imagerie simple et raffinée soulagent des déluges vidéos qui désormais inondent les scènes. Et ressuscitent le spectacle vivant à l’authentique.

En 2010 toujours (voir WT 2153 du 28 janvier), le choc de la production émanait de la voix à la fois ardente et immaculée, la présence et la beauté de Jonas Kaufmann auquel Sophie Koch, douloureuse Charlotte, ajoutait les couleurs et la chaleur de son timbre de mezzo tandis que Ludovic Tézier apportait à Albert, le malheureux mari imposé, une belle dose d’humanité. On les croyait irremplaçables, quatre ans plus tard pourtant Roberto Alagna, avec sa fougue, sa générosité et le cristal de sa voix relevait le défi haut le cœur avec la complicité de l’émouvante Karine Deshayes (voir WT 3985 du 21 janvier 2014).

Retour en 2016 dans le cycle des belles reprises orchestrées par Stéphane Lissner (Platée, Don Giovanni, l’Elixir d’Amour et Le Barbier de Séville dès le 2 février prochain) avec une nouvelle distribution qui sans atteindre les sommets des deux précédentes confirme des jeunes talents brièvement vus et entendus sur ce plateau. Le ténor polonais Piotr Beczala avait révélé la clarté de sa tessiture dans La Fiancée vendue de Smetana (WT 2581 du 6 décembre 2010) puis dans ce Faust de Gounod rafistolé (voir WT4538 de mars 2015) qu’il sauva du naufrage grâce à sa fraîcheur et à sa justesse .Sa prise de rôle de Werther représente évidemment un défi et, au soir de la première, un trac évident paralysa quelque peu son jeu et sa projection durant les premiers actes.
« Je ne sais pas si je veille ou si je rêve encore », « Un autre est son époux… » peinent à aborder les rives de l’émotion, puis l’ardeur enfin s’installe, et quasiment métamorphose sa pudeur, ses expressions tant sur le plan vocal – ses aigus s’arrondissent, ses graves se nimbent de velours – que sur celui du jeu, quand il délaisse enfin la pose stéréotypée face au public. A ces atouts enfin retrouvés –son Lied d’Ossian bouleverse - il faut ajouter une diction d’une rare pureté, chaque syllabe est parfaitement articulée.

La pose statique face au public signe une quasi absence de direction d’acteurs, si efficace pourtant dans les deux précédentes versions. Elle touche presque tous les personnages, celui de Charlotte qu’Elina Garanca mezzo-soprano lettone (qui fut une belle Dorabella dans un lointain Cosi fan tutte (WT 719 du 19 février 2005) au timbre généreux mais qui minaude avec une sorte de distance, laissant filer des aigus de glace – ou de fausse gamine – dans un langage d’où les consonnes ont pris la clé des champs. Stéphane Degout, d’habitude magnifique dans tant de rôles différents, compose un Albert marmoréen qui semble vouloir se situer hors-jeu malgré sa projection toujours maîtrisée. Seule exception, la délicieuse Elena Tsallagova, inoubliable Renarde rusée de Janacek selon André Engel (WT 1672 ) qui offre une Sophie à peine sortie de l’adolescence, légère, primesautière, aussi rayonnante vocalement que de présence. Les seconds rôles Paul Gay (Le Bailli), Lionel Lhote (Johann), Rodolphe Briand (Schmidt), Piotr Kumon (Brühlmann) Pauline Texier (Kätchen) tiennent parfaitement la route.

On attendait avec impatience et gourmandise Michel Plasson, le plus fin connaisseur de ce répertoire si français, mais des problèmes de santé qu’on espère passagers l’ont forcé à renoncer à prendre sa place dans la fosse. Le jeune chef Giacomo Sagripanti, déjà présent pour la préparation du prochain Barbier de Séville de Rossini, le remplaça à la baguette levée si on peut dire. Il n’est pas un familier de Massenet, c’est évident mais il le sert avec sa fougue toute italienne qui fait parfois danser Massenet sur des cadences verdiennes ou pucciniennes, inattendues mais jamais à contre sens.

Werther de Jules Massenet, orchestre de l’Opéra National de Paris, direction Giacomo Sagripanti, maîtrise des Hauts de Seine et chœur d’enfants de l’Opéra National de Paris, mise en scène Benoît Jacquot, décors et lumières originales Charles Edwards, costumes Christian Gasc, éclairages André Diot. Avec Piotr Beczala, Stéphane Degout, Paul Gay, Rodolphe Briand, Lionel Lhote, Elina Garanca, Elena Tsallagova, Piotr Kumon, Pauline Texier.

Opéra Bastille les 20, 23, 26, 29 janvier, 1er & 4 février à 19h30

08 92 89 90 90 - +33 1 72 29 35 35 – www.operadeparis.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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