Une Périchole qui fera école
À la Salle Favart, l’opéra-bouffe d’Offenbach est servi par une équipe brillante et enthousiaste, de bonne tenue musicale.
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- 16 mai 2022
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« Il grandira, il grandira car il est espagnol... ». Le fameux air de La Périchole, qui revient en boucle tout au long du spectacle, repris par toute la troupe, y compris l’équipe technique, au moment des saluts sous les vivats du public, dit assez l’excellente ambiance qui règne sur le plateau. Un vrai bain d’optimisme communicatif et salutaire en ces temps anxiogènes. Qualité, homogénéité et dynamisme de l’équipe musicale, mise en scène au cordeau, originalité des costumes et des décors aux couleurs pimpantes... tout concourt à faire de cette Périchole créée par l’Opéra comique une production brillante et joyeuse.
Le directeur musical, Julien Leroy et la metteure en scène, Valérie Lesort (cette fois sans son acolyte habituel Christian Hecq), ont fait le (bon) choix de la deuxième version de cet opéra-bouffe, datée de 1874, défendue par la grande Hortense Schneider, après l’échec relatif de la première en 1968. Rallongé d’un acte avec une intrigue plus étoffée, le spectacle s’en trouve mieux équilibré. Même si le côte farce l’emporte toujours, la charge sociale et politique contre le régime et la personne de Napoléon III, récemment déchu, y perce clairement.
Pour autant, le livret des duettistes Ludovic Halévy et Henri Meilhac, inspiré d’une comédie de Mérimée, n’a pas gagné en vraisemblance. Qu’importe, reste la figure de La Périchole cette courtisane, personnage historique du XVIIIe siècle et diva mythologique du Pérou colonial, artiste libre comme les aime Offenbach. Quant débute la pièce, la vibrionnante chanteuse des rues de Lima peine à gagner son pain dans son duo avec son amoureux Piquillo (« poivron » !). Survient alors le vice-roi, veuf sans scrupule qui bat la campagne et tombe raide dingue d’elle. Et la propulse favorite en son palais.
Bonne fille
La chanteuse restera-t-elle enchainée dans sa prison dorée ou sera-t-elle fidèle à son amour famélique et à sa liberté ? Comme de juste, la bonne fille adoptera la seconde solution. Au terme de péripéties rocambolesques plus ou moins bouffonnes, elles prendra la file de l’air avec son amoureux, tous deux accompagnés d’un vieux prisonnier au cachot depuis si longtemps qu’on a oublié la raison de son incarcération...
Très fouillée, pleine d’humour et de clins d’œil malicieux, la mise en scène a manifestement fait l’objet de longues répétitions par les interprètes, sans paraître pour autant laborieuse. À la troupe fournie de solistes et de choristes qui tous se prêtent au jeu se joint une équipe de six danseurs qui se mêlent si bien aux chanteurs et au chœur qu’on ne sait plus très bien distinguer les uns des autres. Il est vrai que les chanteurs, y compris les solistes, participent à la chorégraphie générale, très enlevée, si bien qu’aucune scène – aussi intime et virtuose soit-elle, comme la lettre de La Périchole à Piquillo « Ô mon cher amant, je te jure... » – n’est figée.
À la fois documentés et pleins d’imagination et de fantaisie, les costumes aux couleurs éclatantes font du spectacle un métissage de cancan et de danses folkloriques latino-américaines. Les hommes d’armes ont des allures de soldats de plomb et les dames de la cour la silhouette de culbutos. Tout au long du spectacle sont parsemés de gags fort drôles : le lama (en baudruche évidemment) sur lequel chevauche le vice-roi incognito ne manque pas de faire ses (gros) besoins sur scène. Et les marionnettes de lamas de Carole Allemand, qui participent en se dandinant au duo d’amour du troisième acte sont tordantes.
Le jeune chef Julien Leroy dirige avec dynamisme l’Orchestre de chambre de Paris et le chœur Les Éléments donnant à la musique d’Offenbach toute sa pétulance, dans une grande variétés de couleurs orchestrales. Dans le rôle-titre, la mezzo Stéphanie d’Oustrac a ce qu’il faut d’abattage et de soyeux pour incarner une Périchole piquante, charmante et maîtresse du jeu, proche de Carmen qu’elle a interprétée moult fois. Excellente comédienne, elle module en zigzaguant son fameux air « Je suis un peu grise... » sans rien perdre de son élégance naturelle. Un cran en dessous, le ténor Philippe Talbot campe un Piquillo honnête, sans excès d’effets, et le baryton Tassis Christoyannis un vice-roi chafouin. Tout le reste de la distribution prend sa part dans la bonne tenue de cette très riche production qui fera date.
Photo Stefan Brion
La Périchole, opéra-bouffe de Jacques Offenbach. Jusqu’au 25 mai, www.billetterie@opera-comique.com Direction musicale : Julien Leroy, mise en scène : Valérie Lesort, décors : Audrey Vuong, costumes : Vanessa Sannino, lumières : Christian Pinaud, chorégraphie : Yohann Têté, marionnettes : Carole Allemand, chef de chant : Martin Surot.
Avec Stéphanie d’Oustrac, Philippe Talbot, Tassis Christoyannis, Eric Huchet, Lionel Peintre, Thomas Morris, Quentin Desgeorges, Julie Goussot Marie Lenormand, Lucie Peyramaure, Julia Wischniewski. Chœur Les éléments. Orchestre de chambre de Paris.