Don Quichotte de Massenet à l’Opéra de Lausanne le 5 octobre
Un opéra métaphysique sous les feux du music hall
Pour la première fois programmé à Lausanne, l’opéra de Massenet enchante et émeut.
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- 9 octobre
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PRÉSENTÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS à l’Opéra de Lausanne, Don Quichotte de Massenet voit le retour de deux artistes dans cette salle : le chef d’orchestre Laurent Campellone, grand connaisseur du répertoire français, et le metteur en scène Bruno Ravella, ainsi qu’une prise de rôle très attendue, celle de la mezzo-soprano Stéphanie d’Oustrac. Don Quichotte a été créé en 1910 à l’Opéra de Monte-Carlo, avec dans le rôle-titre l’immense Feodor Chaliapine. Déja très affaibli par la maladie, Massenet mourra deux ans plus tard et l’on peut comprendre son intérêt pour la figure de Don Quichotte comme une sorte d’identification à un grand humaniste qui est aussi un rêveur, non pas un artiste dans le roman de Cervantès, mais bien, lui aussi, un créateur d’imaginaire.
Bien loin de l’espagnolade assez en vogue en France au tournant des XIXe et XXe siècles, même si Massenet ne répugne nullement à insérer dans sa partition des rythmes et des tournures espagnols, Don Quichotte est d’abord le relevé d’une désillusion amoureuse. C’est aussi le récit d’une amitié profonde entre deux êtres d’origine sociale différente : le Chevalier « à la triste figure » et son serviteur Sancho Pança, l’homme dévoué et tendre qui tente de protéger son maître des dangers de l’illusion et du rêve. Car l’opéra, fidèle en cela au roman originel, semble une méditation sur le pouvoir de l’imaginaire et celui de la bonté, en tragique hiatus avec le réel et la brutalité d’une foule hostile, sarcastique, sûre de sa supériorité.
Sous les feux du music-hall
Pour interpréter au mieux ces puissants enjeux et leur entrelacement, le metteur en scène Bruno Ravella et son scénographe Leslie Travers ont eu l’excellente idée d’entrer en quelque sorte dans l’imaginaire de Don Quichotte et de donner à ses visions le décor d’une scène de music hall. Soutenue par le remarquable travail sur les lumières réalisé par Ben Pickersgill, cette mise en scène fait de la multiplicité des spots répartis sur des rails, la représentation changeante des états du personnage et permet non seulement de varier l’intensité, mais surtout de mobiliser le « ciel » de la scène comme pour suggérer la fragilité psychique du personnage de Don Quichotte, mais aussi sa puissance créatrice...
Le monde du music-hall avec ses codes et ses manières bien connus permet également d’imaginer une Dulcinée descendant depuis les cintres jusqu’au sol de la scène, telle une star très attendue, mais que l’on peut comprendre aussi comme le jeu d’apparition et de disparition d’un objet de désir, mis en scène par le rêve de Don Quichotte. Un excellent travail théâtral et chorégraphique sur les chœurs favorise merveilleusement ces visions : tour à tour jubilatoires et inquiétants, entre précision rythmique à la mécanique bien huilée pour accompagner les motifs hispaniques et déplacements plus agressifs, pour évoquer l’hostilité de la foule envers le héros rêveur et ridicule.
Sous la direction très inspirée de Laurent Campellone, tous les artistes de cette production sont remarquables. Un trio de solistes d’exception marque cette production : Nicolas Courjal, bouleversant de profondeur et d’émotion (Don Quichotte), Stéphanie d’Oustrac (Dulcinée) jouant avec grande subtilité toutes les nuances qui séparent le charme pur de la compassion, et Marc Barrard, dessinant et déployant au long de l’opéra un portrait de Sancho Pança qui est une merveille de finesse et d’engagement. Ce spectacle, entièrement réalisé par les équipes de l’Opéra de Lausanne, y compris pour la construction des décors et les costumes, ne donne lieu qu’à cinq représentations. Il est fort souhaitable qu’il soit repris prochainement par d’autres maisons d’opéra*.
Photos : Carole Parodi
* Capté par la Radio Télévision suisse (RTS ) / Espace 2, il sera diffusé le samedi 8 novembre 2025 à 19h30.
Jules Massenet : Don Quichotte. Avec Stéphanie d’Oustrac (Dulcinée), Nicolas Courjal (Don Quichotte), Marc Barrard (Sancho), Andrea Cueva Molnar (Pedro), Herlinde Van de Straete (Garcias), Maxence Billiemaz (Rodriguez), Jean Miannay (Juan), Giulio Foresto (Chef des bandits), Nicolas Charoud (1er Bandit), Gabriel Colin (2e Bandit), Romain Favre (3e Bandit), Pier-Yves Têtu (1er Laquais), Mohamed Haldar (2e Laquais). Mise en scène : Bruno Ravella ; scénographie : Leslie Travers ; costumes : Gabrielle Dalton ; lumières : Ben Pickersgill ; chorégraphie : Rebecca Howell. Chœur de l’Opéra de Lausanne, chef de chœur : Alessandro Zuppardo ; Orchestre de chambre de Lausanne, dir. Laurent Campellone. Opéra de Lausanne, 5 octobre 2025. Prochaines représentations : 10 et 12 octobre 2025.



