Liège – Opéra Royal de Wallonie jusqu’au 18 juin 2011

Salomé de Richard Strauss et Oscar Wilde

En version française, charnelle et décalée

Salomé de Richard Strauss et Oscar Wilde

Les caprices de la météo dotent parfois certains concerts ou opéras d’instrumentistes involontaires voire d’un chef d’orchestre imprévu. Ce fut le cas à Liège lors de la première d’une nouvelle production de Salomé de Richard Strauss où un orage pétaradant et des giclées de pluie renforcèrent, sans y être invités, les cuivres, les bois et autres percussions de l’Orchestre Royal de Wallonie placé sous direction pourtant précise et sensuelle de Paolo Arrivabeni.

Il est vrai que le Palais Opéra, lieu de transit où se trouvent les effectifs de la maison d’opéra liégeoise, en travaux depuis trois ans, est particulièrement sensible aux humeurs du temps. Comme un cirque sédentarisé son chapiteau de toile est superbement équipé – scène, salle et lieux de convivialité et de restauration sont de belles tailles. Mais les voilures qui le couvrent sont forcément sensibles aux vents. Une dernière saison y est prévue avant de réintégrer les murs de pierre, les stucs et les dorures de la maison mère.

En attendant, pour cette Salomé nouvelle, coproduite par l’Opéra de Monte-Carlo et le Volksoper de Vienne, les vents s’agitèrent et éructèrent, s’immisceant parfois avec un drôle d’à propos dans l’érotico-mystique tragédie d’Oscar Wilde mise en musique par Richard Strauss. Rédigée en français par Wilde en 1891, Strauss la fit d’abord traduire en allemand par la poétesse Hedwig Lachmann avant de la plonger dans le bain musical des leitmotivs lancinants hérités de Wagner.

Le plaisir d’une sémantique musicale

Créée à Dresde en 1905, Salomé, la scandaleuse, signa le premier grand succès public de Strauss. Deux ans plus tard, il reprenait le texte d’origine de Wilde, une version française qui vit le jour à La Monnaie de Bruxelles en 1907. C’est cette version, rarement, jouée qui est représentée à Liège, et, à l’écoute des mots d’un livret si musical et si sensuel, on se demande pourquoi elle reste la plupart du temps rangée dans les casiers d’archives. Rien que pour le plaisir de cette sémantique musicale, l’Opéra de Liège mérite un détour, sinon un voyage, même si la production n’est guère vierge d’inaboutissements divers. Le premier problème vient de la structure même de ce Palais Opéra posé à ras du sol. Il n’y a pas de fosse, l’orchestre est rangé tout au long de la scène qui le surplombe à peine. Tous les efforts d’un chef précautionneux et d’instrumentistes qui tentent de brider leurs élans, ne réussissent pas à éviter de couvrir les voix.

Un cafouillis d’intentions de mise en scène

Certaines sont d’ailleurs fort belles mais la mise en scène de Marguerite Borie qui fut l’assistante de quelques grandes pointures comme Peter Stein, les noie dans un cafouillis d’intentions qui les sacrifie : ainsi Vincent Le Texier qui reprend le rôle de Jochanaan le prophète, qu’il a déjà souvent et fort bien interprété en France, est entendu presque en permanence en voix off. On sait qu’il est supposé être enfermé dans un cachot souterrain mais des hommes comme Luc Bondy ou Lev Dodine ont su trouver l’astuce pour lui faire prendre l’air avant de perdre la tête. Dans la seule scène où il apparaît, il porte une toge écarlate dont Salomé tire un interminable lambeau qui sert d’axe et de fil rouge à la mise en scène. Drapeau, oriflamme ou huitième voile, il sert à tout. Et à rien. Comme la lumière aveuglante qui couvre le cercle censé représenter les profondeurs du cachot où est enfermé Jochanaan et qui provoque des picotements aux yeux des spectateurs durant la plus grande partie du spectacle. …C’est la première mise en scène en solo de la jeune Marguerite Borie. On peut espérer mieux.

La grâce et la fraîcheur de June Anderson

La distribution réunit Mara Zampieri-Hérodias en robe grotesque, qui compense le déclin de sa voix par des cris agités, l’Hérode du ténor Donald Kaasch affole son timbre clair par un jeu surexcité, le beau personnage de Naraboth, le capitaine amoureux est immolé de façon expéditive et ne laisse guère à Jean-Noël Briend l’occasion d’en s’exprimer les tourments.

June Anderson enfin, dans le rôle titre, enfile les drapés de Salomé, cette petite Lolita à peine sortie de l’adolescence qui pour calmer ses premières pulsions de femme, demande la tête du prisonnier vertueux qui lui a refusé un baiser. Depuis des décennies elle fut sur toutes les grandes scènes du monde Gilda, Lucia, la Reine de la Nuit, Elvira, Violetta, toutes les héroïnes du bel canto et les autres. Les caprices érotiques de la gamine Salomé forment donc pour elle, forcément, un rôle de composition. Dont elle se tire avec beaucoup de grâce, des aigus sages mais bien projetés et un jeu d’une fraîcheur étonnante. Pas de déshabillage pour la danse des sept voiles : elle virevolte au milieu de la garde, des juifs et des nazaréens, les vampe comme elle aguiche son beau-père, leur laissant des bouts de voiles de la robe qu’elle n’enlèvera pas. La scène finale où, seule, au bord du gouffre qui enfermait son héros, elle mêle sa bouche à celle du prophète décapité est superbe, en chant et présence.

Salomé de Richard Strauss, livret tiré du texte original en français de la pièce d’Oscar Wilde. Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie, direction Paolo Arrivabeni, mise en scène Marguerite Borie, chorégraphie Darren Ross, décors et lumières Laurent Castaingt, costumes Pieter Coene. Avec June Anderson, Vincent Le Texier, Donald Kaasch, Mara Zampieri, Jean-Noël Briend, July Bailly. Et Juri Gorodezki, Xavier Petithan, Patrick Mignon, Giovanni Iovino, Pierre Gathier, Gabriele Nani, Stefano De Rosa, Marc Tissons, Alexei Gorbatchev, Pierre Nypels .

Liège – Palais Opéra -, les 7, 9, 15, 18 juin à 20h, le 12 à 15h

+32 (0)4 221 47 22

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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