Critique – Opéra-Classique

PASSION de Stephen Sondheim

Quand l’amour ouvre les portes de l’enfer

PASSION de Stephen Sondheim

Pour la cinquième fois depuis 2010, le Châtelet présente en création française une œuvre du compositeur américain Stephen Sondheim (né en 1930) et pour la cinquième fois on reste sous l’emprise d’une musique qui ne ressemble à aucune autre.

Plus encore que les précédentes, A little night music, Sweeney Todd, Sunday in the Park with George, Into the Woods (voir WT 2205, 2788, 3714, 4085) Passion , poème d’amour et de mort nous emmène hors des sentiers battus du genre « musical », comédie musicale. Un genre difficile à définir car ici la « comédie » n’a rien d’un divertissement. Il s’agit plutôt d’un opéra-comique au sens français de sa définition : une œuvre musicale - amusante ou tragique – qui se distingue par ses dialogues parlés.

Passion, tragédie musicale aux phrases courtes, denses comme des lames, pourrait s’y apparenter. Sondheim en puisa le sujet dans un roman de l’italien Iginio Ugo Tarchetti (1839-1869) - Fosca – dont le cinéaste Ettore Scola tira le superbe et très dérangeant film Passione d’Amore. C’est une introspection, une plongée dans l’inconscient amoureux, dans ses profondeurs insondées quand il aborde les rives du non-retour. Aimer ou être aimé ? Telle est la question. Le jeune officier Giorgio, amant follement épris de sa maîtresse Clara, est muté dans une garnison loin de Milan où elle mène sa vie de femme mariée et de mère de famille. Ils s’écrivent des lettres d’amour… Sur place Giorgio fait la connaissance de la cousine du colonel, son supérieur. Fosca. Elle est laide, elle est malade, sujette à ses crises d’hystérie. Elle s’éprend de lui au premier regard, lui déclare son amour fou. Il la fuit, elle le harcèle, il s’échappe, elle s’accroche… Jusqu’à en mourir. Giorgio est submergé, il comprend que personne jamais ne pourra l’aimer autant. Il cède. Il aime celle qui est morte d’amour pour lui.

Comme au cinéma

Passion est bâti sur la structure des lettres échangées, l’épistolaire sort des feuilles de papier, prend vie, raconte en direct ou en flash back. Comme au cinéma … Sondheim en habille les relais de sons encrés, noirs, charbonneux. Les percussions, battements de tambour s’intercalent entre les symphonies où pleurent les cordes. Des leitmotiv discrets parcourent l’ensemble mais aucun air à fredonner émerge. Sondheim, refuse le mélo, il opte pour l’épure. Qui inonde les sens, les pénètre, à la façon d’une hypnose.

La mise en scène de Fanny Ardant est en accord parfait avec sa musique. Et avec l’histoire qu’elle narre. Il y a huit ans, l’actrice, la comédienne signait et réussissait au Châtelet sa première mise en scène avec la souriante Véronique de Messager (voir WT 1369 du 25 janvier 2008). Passion , sa deuxième incursion dans le monde lyrique confirme son talent, les dons subtils de sa direction d’acteurs, aussi physique, sensuelle que psychologique. Le choix du peintre Guillaume Durrieu pour les décors participe à ses partis pris. On reste dans l’abstraction, le symbole, avec des panneaux descendant des cintres ou glissant de cour à jardin, noirs, gris, tantôt unis, tantôt éclaboussés ou traversés de lignes abstraites, comme des toiles de Soulages réinventées pour la scène.

Natalie Dessay, illuminée d’amour

Vedette attendue, la soprano colorature Natalie Dessay s’empare de Fosca, la moche, la dérangée, l’illuminée d’amour. Elle semble l’habiter de l’intérieur, à l’abri des effets. Simple, à la fois digne et écartelée, trouvant dans sa voix si claire, des graves de tragédienne. En parfait contraste avec la fougue lumineuse de sa rivale Clara à laquelle Erica Spyres offre sa blondeur voluptueuse et sa voix rodée au répertoire des musicals. Ryan Silverman, comédien canadien au timbre ample de baryton, beau gosse et bel acteur, met sa sensualité au service d’un Giorgio qui passe de l’érotisme désinvolte à la ferveur pathétique.

Sous la direction d’Andy Einhorn, l’orchestre philharmonique de Radio France fait superbement vibrer les transes rhapsodiques de la musique de Sondheim. Elles nous pénètrent comme nous traversent images et les personnages.

PASSION musique et lyrics de Stephen Sondheim, livret James Lapine, orchestre philharmonique de Radio France, direction Andy Einhorn, mise en scène Fanny Ardant, décors Guillaume Durrieu, costumes Milena Canonero, lumières Urs Schönebaum, chorégraphie Jean Guizerix. Avec Natalie Dessay, Ryan Silverman, Erica Spyres et Shea Owens, Karl Haynes, Roger Honeywell, Michael Kelly, Nicholas Garrett…

Théâtre du Châtelet, les 16, 18, 19, 22, 23 & 24 mars à 20h, le 20 à 16h

01 40 28 28 40 – www.chatelet-theatre.com

Photos Marie-Noëlle Robert – Théâtre du Châtelet

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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