Aubervilliers, théâtre de la commune jusqu’au 17 février 2012

Oh les beaux jours de Samuel Beckett

Inversion de rôles

 Oh les beaux jours de Samuel Beckett

C’est la guerre des Oh les beaux jours. D’un côté, Catherine Frot joue la pièce de Beckett dans une mise en scène de Marc Paquien à la Madeleine (un spectacle admirable que Jean Chollet a salué et analysé ici même). De l’autre, Yann Collette l’interprète en travesti, dans une mise en scène de la jeune Blandine Savetier, au théâtre de la Commune. Ce second spectacle est moins parfait, mais suscite pleinement l’intérêt. Le décor conçu par Clolus est une sorte de vague noire à deux crêtes, où s’irisent de délicats reflets rouges. Winnie est-elle absorbée par un crassier, une colline de charbon ou un rivage dévasté par une marée noire ? Comme on voudra. Winnie – donc l’acteur Collette, avec perruque blonde, lèvres rouges, robe et bibi clairs – se détache dans cette obscurité violente. C’est d’abord plutôt insupportable. Collette joue le travelo comme au cabaret. On croirait entendre Beckett joué par Michel Fau ! Il abuse des gestes et des intonations démonstratifs. Le texte semble projeté à travers une allégresse parodique. Puis, dans la seconde partie, quand la lumière s’est éteinte avant de se rallumer sur un personnage davantage enfoui dans la masse de terre anthracite, Collette semble entrer dans l’intériorité du personnage en même temps qu’il plonge au cœur du minéral. Plus de coquetteries, de roueries, d’artifices. Rien que le monologue de la femme défiant la mort qui l’engloutit avec la fragilité du naufragé qui ne veut pas croire au naufrage. Yann Collette est alors bouleversant, magnifique, renversant.

Blandine Savetier semble avoir conçu sa mise en scène comme un moment en deux temps. Un temps théâtral. Un temps intérieur. Ce déséquilibre n’est pas convaincant. Mais le spectacle monte si fort en puissance qu’on ne peut que l’apprécier peu à peu. Inversant complètement les rôles et les sexes, Blandine Savetier a confié le rôle du mari, Willie, à une femme, également travestie, puisque Natalie Royer joue en homme avec un chapeau claque et un costume de soirée. La comédienne interprète, in fine, des gestes d’amour muets qui sont également splendides. En somme, une réalisation qui n’a pas tout à fait trouvé la hauteur de son ambition, qui peut aller plus loin (si le spectacle est repris, ce que l’on souhaite, bien évidemment) et qui, en montrant de l’irrespect envers les données définies par Beckett – ,l’écrivain détestait qu’on change quoi que ce soit à ses indications, et, là, les sexes ne sont pas à leur place ! -, sert Beckett avec intelligence.

Oh les beaux jours de Samuel Beckett, mise en scène de Blandine Savetier, scénographie et installation d’Emmanuel Clolus, lumières de Stéphanie Daniel, création sonore de François Marillier, costumes de Sabine Siegwalt, maquillage de Cécile Kretschmar, dramaturgie de Waddah Saab, collaboration artistique d’Aurélia Guillet, magie de Benoît Dattez, avec Yann Collette, Natalie Royer. Théâtre de la Commune, Aubervilliers, tél. : 01 48 33 16 6, jusqu’au 17 février. (Durée : 1 h 15).

photo Brgitte Enguérand

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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