Bruxelles – La Monnaie jusqu’au 6 novembre 2011

Œdipe de George Enescu

Les yeux plus gros que le ventre

Œdipe de George Enescu

Avec le monumental Œdipe de George Enescu, la Monnaie de Bruxelles s’attaque à un gros gibier. Créé en 1936 au Palais Garnier à Paris, le chef d’œuvre du plus grand compositeur roumain du XXème siècle n’avait plus été joué en Belgique depuis 1956 et la France dut attendre l’automne 2008 pour que Nicolas Joël en ressuscite les opulentes mosaïques musicales au Capitole de Toulouse dans une production à l’antique proche de l’oratorio.

Pour affronter « la bête » Peter de Caluwe, patron de la maison d’opéra bruxelloise, a confié ses fusils de chasse aux Catalans de la Fura dels Baus. Ceux-ci lui avaient assuré il y a deux ans un beau succès avec Le Grand Macabre de Gyorgy Ligeti (voir webthea du 31 mars 2009) Le résultat ici, certes inventif, est pourtant loin d’en atteindre les sommets.

Un terrain semé d’embûches

Le terrain il est vrai est semé d’embûches. Les sonorités vocales, la splendeur orchestrale de la musique exigent de grands moyens et une lecture où la quête de vérité du mythique héros de Sophocle prend la dimension de l’universel. Né en Roumanie en 1881, mort à Paris où il avait élu domicile en 1955, George Enescu (plus souvent orthographié en français Enesco comme son compatriote Ionesco) imprègne ses compositions d’une immense palette de couleurs où classicisme, romantisme et musiques de terroir sont intimement liés.

L’ensemble exige des moyens dont la frondeuse Monnaie ne dispose pas totalement. Disons que ses yeux furent plus gros que son ventre... Sa fosse peine à contenir tous les instrumentistes de l’orchestre symphonique maison. Le chef anglais Leo Hussain qui les avait déjà dirigés pour Le Grand Macabre n’a rien perdu de l’énergie qui y avait fait merveille. Sa fougue et son ardeur font exploser, la sensualité et la rage d’Enesco. Les sons giclent à tel point que la plupart du temps ils couvrent les voix des chanteurs.

Les aléas des doubles distributions

Ceux de la deuxième distribution en tout cas se révèlent incapables de relever le défi. Les doubles répartitions des principaux rôles sont forcément aléatoires. Elles peuvent réserver de bonnes surprises comme passer pour des ersatz. Le baryton américain Andrew Schroeder incarne Œdipe en alternance avec le berlinois Dietrich Henschel. Jeu timoré, volume étroit, il ne passe pas la rampe. De même la mezzo Natascha Petrinsky, en alternance avec la lumineuse contralto canadienne Marie-Nicole Lemieux, fait pâle figure. Insipide en Jocaste, elle réussit pourtant à composer une Sphinge redoutable de folie. L’excellente basse Jan-Hendrick Rootering campe un Tirésias impressionnant de timbre et de présence, Ilse Eerens une Antigone écorchée vive, Robert Bork un Créon u profil de fonctionnaire. Pour l’ensemble la diction est absente, la prosodie dans le flou. Le livret d’Edmond Fleg a pourtant été rédigé en français.

Pierre, argile et boues

Pierre, argile et boues : les bas reliefs en étages des décors sont peuplés d’une statuaire de terre ocre et grise qui s’anime pour se transformer en populace de misère et former le chœur. La sphinge apparaît dans un avion Stuka de la deuxième guerre mondiale, les coiffes et voiles des costumes semblent jouer au printemps arabe. Alex Ollé, metteur en scène de la Fura dels Baus, a manifestement voulu donner au destin d’Œdipe un prolongement dans l’actualité. Ce dont il n’a pourtant aucun besoin depuis plus deux millénaires....

Cette production sera reprise par l’Opéra National de Paris Bastille son coproducteur. Elle y trouvera un espace en meilleur accord avec ses tableaux mouvants, et, on peut l’espérer, une distribution à la hauteur de sa complexité.

photos Bernd Uhlig

Œdipe de George Enescu, livret d’Edmond Fleg. Orchestre symphonique, chœurs et chœur de jeune de la Monnaie, direction Leo Hussain, chef des chœurs Martino Faggiani, chef du chœur de jeunes Benoit Giaux, conception et mise en scène Alex Ollé (la Fura dels Baus), décors Alfons Flores, costumes Luc Castells, lumières Peter Van Praet. Avec Andrew Schroeder en alternance avec Dietrich Henschel, Jan-Hendrik Rootering, Robert Bork, Natascha Petrinsky en alternance avec Marie-Nicole Lemieux, Ilse Eerens, Catherine Keen, Nabil Suliman, Frédéric Caton, John-Graham Hall, Jean Teitgen, Henk Neven, Yves Saelens, Kinga Borowska.

Bruxelles – la Monnaie, les 22, 25, 26, 28, 29 octobre, 1, 2, 4 novembre à 20h, le 6 novembre à 15h.

+ 32 (0) 70 233 939 – www.lamonnaie.be

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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1 Message

  • Œdipe de George Enescu 23 novembre 2011 21:42, par victorfilip

    Avec le monumental Œdipe d’Eugène Enescu... ?

    Répondre au message

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