Paris – Opéra Comique jusqu’au 18 avril 2010

Mignon d’Ambroise Thomas

Résurrection réussie d’un classique oublié

Mignon d'Ambroise Thomas

Découvrir pour la première fois une œuvre jouée plus de 2061 fois dans le théâtre même où elle fut créée peut sembler relever de l’absurde. C’est pourtant ce qui se passe en ce moment sur la scène et dans la fosse de l’Opéra Comique de Paris qui remet en selle Mignon d’Ambroise Thomas, née le 17 novembre 1866 dans ses murs. « Connaissez-vous le pays où fleurit l’oranger », « Légères hirondelles, oiseaux bénis des dieux » : on fredonnait ses tubes, on ne les avait pas entendus en action sur scène depuis 1963. C’est donc la résurrection d’une œuvre, d’un style d’un esprit, d’une élégance polie – celui de la musique française du 19ème siècle, que Jérôme Deschamps, l’actuel patron de la salle Favart, réintègre dans sa maison mère avec une belle cohérence. Bizet, Chabrier, Berlioz, Messager, Auber, Hérold y ont déjà retrouvé leurs racines. Ambroise Thomas (1811-1896), pape du bon goût français qui détestait Wagner et ses suiveurs, homme d’institution autant que d’inspiration, vient à son tour d’y refaire surface. Avec un total bonheur.

Comme son ami Gounod le fit pour son Faust, c’est dans une œuvre de Goethe – Wilhelm Meister - qu’Ambroise Thomas trouva le sujet de son opéra, et toujours comme le même Gounod, c’est aux duettistes librettistes Jules Barbier et Michel Carré qu’il en commanda les dialogues à dire et à chanter dans la tradition de l’opéra comique. Ce qu’ils firent avec leur habituel mélange d’efficacité et de panache. Dans un village allemand, pas loin d’un château, une troupe de Bohémiens et une troupe de théâtre attendent le bon plaisir des princes pour se produire. Quand le chef des Bohémiens fiche une raclée à un gamin pour le forcer à danser, Wilhelm Meister, jeune bourgeois de Vienne en voyage d’étude, intervient et rachète le môme appelé Mignon qui s’avère être une adolescente sans père ni mère, et en fait son page.

Version happy end

Lothario, un vieux musicien errant et amnésique, se prend de compassion pour elle et décide de l’accompagner. Wilhelm s’est amouraché de Philine, la coquette et volage star des théâtreux qui s’apprêtent à jouer le Songe d’une Nuit d’Eté pour le seigneur des lieux. Mignon follement éprise de son sauveur en souffre jusqu’au délire et se confie au vieil homme qui, croyant lui faire plaisir, met le feu au château… Où Mignon se jette pour retrouver un bouquet de fleurs… Tout se terminera bien ou mal selon les versions : dans l’une Mignon expire dans les bras de Wilhelm qui a reconnu son amour et le lui a rendu, dans l’autre, les amants se découvrent et se retrouvent tandis que Lothario recouvre la mémoire, ses biens et son enfant perdue, enlevée par des Bohémiens... C’est la version happy end qui est le plus souvent jouée, c’est elle que met en scène Jean-Louis Benoit et que dirige François-Xavier Roth.

Une anecdote se greffe sur l’historique de l’œuvre : c’est après l’incendie qui termine l’acte 2 que la salle Favart prit réellement feu en 1887 et ravagea totalement le théâtre… pour la deuxième fois. Petit clin d’œil : avant le début de l’acte 3, un serviteur vient vérifier et étouffer les flammes (factices) qui s’étaient échappées en bulles des bords de la fosse.

Elégance fine

Des astuces, des idées, la mise en scène de Benoit, grand homme de théâtre, directeur de la Criée de Marseille, fondateur de l’Aquarium, en regorge. Sans prise de tête ni cheveu coupé en quatre, une lecture franche et souriante, une direction d’acteurs alerte dans le registre vaudeville et du rythme à revendre. Décors de Laurent Peduzzi aux paysages empruntés à Caspar David Friedrich ou Carl Friedrich Schinkel, les princes du romantisme allemand, costumes en camaïeux sablés de Thibaut Welchlin : tout se conjugue en élégance fine. Nicolas Cavallier, jeune baryton basse aux graves de cuivre s’est ajouté quelques années de maturité pour camper le vieil errant, Malia Bendi-Merad en Philine peste et pimbêche passe sans transition d’un médium aux allures faussement fragiles aux spirales d’une colorature qu’aucun contre-fa n’effraie, Ismael Jordi, jeune premier de gravure, ténor aux aigus de métal fin, fait voyager Wilhelm, le Viennois sur les rives d’une Espagne dont il a gardé la tonicité gutturale – on le comprend parfaitement quand il chante mais pas du tout quand il parle -. Mignon lunaire, avec un petit air de môme Piaf, la mezzo Marie Lenormand incarne une sorte Gavroche au jeu mélancolique et à la voix ambrée qui sait monter haut quand il le faut. Drôle, émouvante, idéale.

Fougue et passion

Petite cerise (ou surprise) sur le gâteau : François-Xavier Roth a voulu reconstituer la disposition de l’orchestre comme elle se pratiquait au siècle de Thomas : dans la fosse les musiciens sont placés face au plateau et le chef devant eux, face au public, lui tourne le dos. On se demande comment, en ces temps là, les chanteurs pouvaient capter les intentions du chef. Nous sommes heureusement équipés de techniques et technologies avancées : un écran au fond de la loge centrale du parterre leur renvoie son image et ses battues. L’écoute en tout cas est de plaisir, de fougue et de passion. Roth communique à toute sa troupe, musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, chanteurs et le chœur magnifique Accentus, son amour de cette musique.

Mignon opéra comique d’Ambroise Thomas, d’après Wilhelm Meister de Goethe, livret de Jules Barbier et Michel Carré. Orchestre Philharmonique de Radio France, chœur Accentus, direction François-Xavier Roth, mise en scène Jean-Louis Benoit, décors Laurent Peduzzi, costumes Thibaut Welchlin, lumières Dominique Bruguière, chorégraphie Lionel Hoche. Avec Marie Lenormand, Ismaël Jordi, Malia Bendi-Merad, Nicolas Cavallier, Blandine Staskiewicz, Christophe Mortagne, Frédéric Goncalvès, Laurent Delvert.

Opéra Comique, les 10, 12, 14, 16 avril à 20h, le 18 à 15h

0825 01 01 23 – www.opera-comique.com

Photos : Elisabeth Carrechio.

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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