Opéra Nationa de Paris - Palais Garnier - jusqu’au 27 juin 2008

Melancholia de Georg Friedrich Haas

Voyage en terre de solitude

Melancholia de Georg Friedrich Haas

La création d’une œuvre tout juste sortie de la plume ou du clavier de son auteur, comme un pain sorti tout chaud du four du boulanger, a toujours quelque chose d’émouvant. S’agissant d’opéra elle y ajoute un petit quelque chose de rassurant sur une forme musicale trop souvent réputée obsolète… L’opéra vit, l’opéra est vivant… Mais toute nouveauté draine sa part d’inconnu et sa part de risque… On n’est pas gagnant à tous les coups …

Melancholia du compositeur autrichien Georg Friedrich Haas, né en 1953, commande de l’Opéra de Paris, vient d’essuyer les feux de la rampe du Palais Garnier avec des heurts et des bonheurs divers. Il tire son sujet d’un texte que le romancier et dramaturge norvégien Jon Fosse a dédié à Lars Hertervig, peintre paysagiste norvégien majeur, passionné de couleurs, incompris de son temps, enfermé pour folie, mort ruiné, un destin qui fait penser à Van Gogh même si leurs œuvres sont radicalement différentes…

Un beau thème en vérité, traité en immobilité mentale, une spécialité de Jon Fosse, auteur aimé des théâtres à têtes chercheuses, chantre du temps qui s’arrête et tourne sur lui-même jusqu’au vertige… Ainsi va la vie de tant de créateurs livrés à leur solitude.

Trois tableaux résolument statiques

De son roman Melancholia I, Jon Fosse adapta lui-même le livret en langue allemande. Il y concentre toute l’existence de Lars Hertervig (1830-1902) à une anecdote amoureuse qui marqua ses jeunes années, quand, habitant à Düsseldorf il s’éprit d’Hélène, la jeune nièce de son logeur. Lequel, craignant pour l’avenir sa fragile parente, le somma de plier bagage et de déguerpir au plus tôt… En trois tableaux résolument statiques, toute l’action s’articule autour d’une double complainte : celle de l’artiste qui revendique sa créativité, celle de l’amoureux qui revendique son droit d’aimer… C’est, d’une certaine façon, une opération de désossage qui réduit la trame à un minimalisme abstrait, une sorte de fantôme en quête de son ombre.

Le texte est nu et son surtitrage en langue française peu fidèle… Quand, par exemple, le pauvre Lars se réfugie dans une taverne hantée par des peintres qui s’appelle Malkasten, - c’est-à-dire « boîte à peinture » - rien n’indique le jeu de mot, « Malkasten » apparaît en langue originale comme n’importe quelle taverne Machin, Schmidt ou Dupont…

Des harmoniques qui donnent chair au désespoir

Melanie Walz (Helene) et Otto Katzameier (Lars)

Mais sur ce squelette verbal Haas a su composer une musique qui souvent vrille l’âme. Ce musicien épris de mathématiques et de physique, formé à l’électroacoustique et à l’informatique musicale apprise à l’Ircam, se situe dans l’héritage de novateurs comme Ligeti ou Gérard Grisey, l’ inventeur et concepteur de la musique spectrale dont il se réclame. Malgré quelques passages répétitifs dus au manque d’action véritable, les harmoniques de Haas donnent chair et densité au désespoir de son héros et ne manquent ni d’ironie ni d’humour pour évoquer les beuveries de la taverne.
Une musique qui somme toute rutile mais dont le metteur en scène Stanislas Nordey prend, hélas, le contre-pied. Scénographie en noir et blanc, lumières en grisailles, avec une toile blanche qui vole et s’affaisse pour figurer la page blanche, ce cauchemar de l’artiste en mal d’inspiration : on ne pouvait rêver cliché plus redondant ! Il y a longtemps que l’on sait la réputation de Nordey surfaite… Et sa direction d’acteurs se réduit pratiquement à rien, transformant la jeune première en poupée mécanique et condamnant son malheureux soupirant à un festival de grimaces censées exprimer son désarroi.

L’excellence du Klangforum Wien

Les chanteurs heureusement se tirent admirablement de ces chausse-trappes, à commencer par le baryton basse Otto Katzameier capable d’exprimer les tourments de Lars en émotion et parfaite clarté sonore, la basse Johannes Schmidt en oncle méprisant, le contre ténor savoureux Daniel Gloger et Melanie Walz en jeune fille énamourée qui manque parfois d’étoffe mais réussit quelques beaux moments. Tous sont soutenus par l’excellence du Klangforum Wien, brillants spécialistes des musiques de notre temps que le chef argentin Emilio Pomarico dirige ici avec un maximum de souplesse et d’efficacité. Sans oublier les choristes du Vokalenensemble NOVA que Haas a particulièrement soignés. Autant d’atouts qui valent la découverte d’une œuvre tout juste née.

Melancholia de Georg Friedrich Haas, livret de Jon Fosse d’après la première partie de son roman Melancholia I. Klangforum Wien, Vokalenensemble NOVA, direction Emilio Pomarico, mise en scène Stanislas Nordey, décors Emmanuel Clolus, costumes Raoul Fernandez, lumières Philippe Berthomé. Avec Otto Katzameier, Melanie Waltz, Johannes Schmidt, Ruth Weber, Daniel Gloger, Annette Elster, Martyn Hill.
Opéra National de Paris – Palais Garnier, les 9, 12, 18, 22, 24, 27 juin à 20h, le 15 à 14h30
08 92 89 90 90 – www.operadeparis.fr

Crédit : B. Uhlig/ Opéra national de Paris

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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