Macadam Circus de Thomas Depryck

Du réel et du vrai par l’imaginaire

Macadam Circus de Thomas Depryck

Etant donné le théâtre, que se passe-t-il sur une scène ? Telle semble être la question fondamentale que se pose la Cie De Facto. Et que cet art pose, forcément, au public. Le spectacle est censé y répondre au cours de la durée chronométrée de la représentation.

Dans un jardin sont dispersés des sièges métalliques. Le lieu sert de plateau, de salle et de décor. Mais cela aurait pu être une salle de spectacle plus conforme aux habitudes du théâtre tel qui se pratique dans nos pays occidentaux.

L’essentiel est là pour que puisse se dérouler une représentation. Il y a un endroit plus au moins délimité ; il y a une réceptionniste qui donne et valide les tickets d’entrée ; il y a un texte dont le titre est « Macadam Circus », imprimé et édité chez Lansman ; il y a un individu assis derrière une table sur laquelle se trouve un appareil permettant d’avoir un rapport avec des baffles répartis dans l’espace.

Avant que cela ne commence vraiment, les gens disposent d’un certain temps pour inventorier ce qui les entoure. Outre la grille d’entrée, les murs du bâtiment alentour, il y a un vieux canapé défraîchi en cuir, sorti d’une quelconque brocante, tagué, fatigué, incongru comme s’il avait été abandonné en pleine rue un jour où vont débarquer les camions municipaux chargés de faire disparaîtra les encombrants dont les citoyens se débarrassent dès lors qu’ils ne s’en servent plus.

Ce meuble est flanqué d’un insolite accessoire de salle d’entraînement sportif : un punchingball rouge suspendu à un support métallique noir. En face, à l’autre extrémité, posée sur un élément de la muraille (mais il faut y faire très attention avant de le remarquer), une platine à l’ancienne pour écouter des disques vinyle et un lutrin métallique.

Ce sommaire inventaire établi, puisque rien n’a commencé (du moins en apparence puisque les gens papotent un peu entre eux, lisent un programme…), l’attention se fixe sur un individu assis sur le canapé. Il ne bouge guère. Prend quelques attitudes banales. Semble attendre ou s’ennuyer. Parfois esquisse des gestes de mise en forme physique. Par déduction, vu sa tenue un peu différente de celle des autres personnes présentes, on se dit qu’il pourrait bien s’agir d’un comédien. Selon toute probabilité, l’Axel Cornil dont il est question sur les affiches annonçant le spectacle.

Mine de rien, voilà tout cet ensemble embarqué vers ce qui est annoncé, « Macadam Circus  ». Même déjà dans « Macadam Circus ». Parce que lorsque l’homme à la table lance un chiffre et s’adresse à son comparse du canapé, on comprend que quelque chose se passe effectivement. On a véritablement basculé dans une dimension autre.

Le comédien (oui, c’est bien lui) annonce la couleur. Il va écrire une lettre à son très jeune fils pour lui laisser en héritage ce qu’il vit, pense de la société d’aujourd’hui, voit comme avenir, etc. Voilà qui est clair. Evident : un message idéologique pour mettre en garde contre les dérives actuelles qui dénaturent un univers où les progrès techniques sont fabuleux, les possibilités infinies mais qui fonctionne bancal.

Pourtant, la suite ne sera pas aussi limpidement sommaire. Car il y aura des interférences diverses venant bouleverser le discours. Des repères temporels se télescopent mettant à mal une chronologie. Des éléments extérieurs s’insèrent comme l’écoute fractionnée du disque « Goshteen » de Nick Cave and the Bad Seeds, dont la musique enveloppante emmène autre part, dont les paroles en anglais (dommage pour les unilingues francophones) accompagnent, précèdent ou suivent celles du comédien qui les dits parfois quasi en play back.

Des univers se croisent, le discours de départ vire au fantastique, à la science-fiction, à la déraison. Le père devient boxeur qui expulse son énergie sur son punchingball. Le récit initial laisse entendre une intention plus précise. Ce que le père raconte à son fiston, c’est notre monde actuel avec tout ce qu’il offre de positif raconté avec un faux lyrisme de dérision dans la mesure où il laisse percevoir ce qui est négatif et le gangrène. C’est drôle et tragique, c’est délirant dans un imaginaire éclaté et terrifiant dans sa prospective.

Le public est entraîné par l’énergie d’Axel Cornil, personnage incarné autant que comédien maîtrisant ses expressions vocales et corporelles dans une vision personnelle et universelle, culturelle et économique. Nous sommes au théâtre, c’est de la fiction. Nous sommes dans le réel, nous trinquons avec les boissons que nous offre le régisseur, à nous et à Axel (ou au père de famille ?) en cours de représentation.

Ce brassage inouï nous l’emportons avec nous dans notre quotidien avec les airs de Bach de la fin. Nous avons été au théâtre, le théâtre nous a habités. Nous avons été en connivence alternativement en répulsion avec quelqu’un qui nous était étranger, qui était nous-même.

Cocteau mis dans la bouche du monologue d’un de ses personnages : « Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité. ». Ce serait bien là une définition de ce qu’est le théâtre. Si simple et tellement complexe.

Avignon Off 2022 Musée Angladon (rue Laboureur) 07>30 juillet 2022 18h (réservations : La Manufacture) Durée : 1h 20

Mise en scène, scénographie, régie : Antoine Laubin
Texte : Thomas Depryck
Dramaturgie, jeu : Axel Cornil
Production : Camille Lefèvre
Assistanat à la mise en scène : Quentin Simon
Production : Cie De Facto
Photo © Alice Piemme

Lire : Thomas Depryck, « Macadam Circus », Carnières, Lansman, 2021, 92 p. (12€)

A propos de l'auteur
Michel Voiturier
Michel Voiturier

Converti au théâtre à l’âge de 10 ans en découvrant des marionnettes patoisantes. Journaliste chroniqueur culturel (théâtre – expos – livres) au quotidien « Le Courrier de l’Escaut » (1967-2011). Critique sur le site « Rue du Théâtre »...

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