Luisa Miller à Angers : Verdi à sa maturité
Un habile jeu de paravents et une distribution en grande partie italienne nous réjouissent dans ce rare opéra de Verdi.
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- 11 mars 2023
- Critiques
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Amour impossible, entrave paternelle, trahison, rendez-vous avec la mort… Ce n’était pas Rigoletto mais bien Luisa Miller, version Guy Montavon, qui était donnée au Grand Théâtre d’Angers, en attendant les représentations prévues à Rennes et à Nantes.
L’intrigue ? Luisa et Rodolfo sont épris l’un de l’autre, mais leurs pères Miller et Walter ne l’entendent pas de cette oreille. Le premier préfère Wurm pour sa fille, le second la duchesse Federica pour son fils. Dans cet opéra au tissu dramaturgique serré, l’amour brûlant échoue sur les volontés paternelles et sociales. Et comme souvent à l’opéra avec de pareils ingrédients, la fin est immanquablement tragique…
Pour cet opéra rarement donné, en raison notamment de la difficulté des deux rôles titres, la distribution convoque une majorité d’interprètes italiens, au premier rang desquels la soprano Marta Torbidoni, en Luisa, impressionnante de force dramatique et musicale. Grâce à une voix franche et clairement projetée, se dessine petit à petit une Luisa affirmée, à l’autorité scénique marquante. À son côté, Gianluca Terranova est un Rodolfo sincère et passionné, actif sur les planches, juste dans le jeu et précis techniquement, comme il le montre dans le « Quando le sere al placido » du deuxième acte. On goûte ses médiums denses et son expressivité, tout en regrettant des aigus retenus ou étroits, notamment à la fin du premier acte.
Colérique et sombre
Wurm, interprété par Alessio Cacciamani, lui aussi amoureux de Luisa, est un rival crédible, grâce à une stature imposante, une voix joliment timbrée, bien que quelques graves soient engorgés. Dès la deuxième scène, la basse italienne soutient le conflit avec le colérique et sombre Miller, chanté par Federico Longhi. Après Erfurt la saison dernière, ce dernier rempile dans le rôle, et, dans la plus pure tradition des barytons verdiens, montre une voix ample et puissante, et l’on « croit entendre encore » Rigoletto réprimander Gilda.
La noirceur et la force du comte Walter est justement exprimée par Cristian Saitta, aux graves sonores et puissants. Incarnation bouillante du rôle, la basse montre des lignes élégamment tenues. Le duo Wurm-Walter du deuxième acte est un moment unique du répertoire, les deux basses se répondant dans un « L’alto retaggio non ho bramato » touchant.
Deux Françaises complètent cette distribution à dominante transalpine. La mezzo-soprano Lucie Roche joue une Federica fougueuse, dont les aigus charnus et puissants traduisent la passion contrainte. La soprano Marie-Bénédicte Souquet est une Laura de confiance, délicate et sensible.
Un orchestre enflammé
Dans la fosse, le chef italien Pietro Mianiti aborde avec sérieux et vigueur la partition. Sa gestique précise magnifie l’Orchestre national des Pays de la Loire dans cette musique, envoûtante depuis l’ouverture jusqu’au finale. Verdi a confié un rôle-clef au chœur qui, longtemps dissimulé derrière les décors (ce qui explique peut-être les légers décalages avec la fosse), apparaît en tenue (annonciatrice ?) de deuil, hauts-de-forme pour les hommes et robes amples pour les femmes. Le chœur d’Angers Nantes Opéra livre une performance aboutie.
Guy Montavon a pris le parti simple d’un jeu de paravents sur rails, aux allures de lambris gris écaillés. Au gré des scènes, ces panneaux semi-transparents se déplacent et structurent l’espace. Des accessoires, à la portée symbolique aléatoire, agrémentent les tableaux et éclairent le spectateur : jeu d’échecs, cerf gisant au sol, fauteuils, verre au liquide bleuâtre… Loin d’offrir du spectaculaire, mais en convoquant subtilement l’humour, cette mise en scène met dans un écrin de liberté les chanteurs passionnés : leurs gestes et mimiques semblent spontanés. Les choix scéniques soulignent habilement les oppositions, contrastes et rivalités de l’œuvre, à l’image des deux fauteuils au premier plan, occupés par les pères irascibles.
Les costumes, signés Éric Chevalier, appuient à leur manière l’une des dichotomies de la pièce, entre l’ancien monde reclus et la jeunesse battante. Les premiers revêtent des habits d’époque, poussiéreux et patinés, comme la robe de chambre de Walter au velours usé, ou la robe de Federica, qui du fuchsia a viré pastel. Le costume marron et la robe à fleurs de Rodolfo et Luisa tranchent par leur vitalité.
De cette Luisa Miller complexe, le spectateur gardera la saveur des soirs réussis à l’opéra, où la dramaturgie se mêle à une musique prenante. On vibre jusqu’à la dernière scène.
Crédit photo : © Lutz Edelhoff
Verdi : Luisa Miller (livret de Salvatore Cammarano d’après Kabale und Liebe de Schiller).
Coproduction : Angers Nantes Opéra, Opéra de Rennes, Theater Erfurt. Avec Cristian Saitta (le comte Walter), Gianluca Terranova (Rodolfo), Lucie Roche (Federica, duchesse d’Ostheim), Alessio Cacciamani (Wurm), Federico Longhi (Miller), Marta Torbidoni (Luisa), Marie-Bénédicte Souquet (Laura). Chœur d’Angers Nantes Opéra (Xavier Ribes, chef de chœur) ; Orchestre national des Pays de la Loire, dir. Pietro Mianiti. Mise en scène et lumières : Guy Montavon ; scénographie et costumes : Éric Chevalier. Grand Théâtre d’Angers, 10 mars 2023.