La Chauve-Souris de Johann Strauss à Angers-Nantes Opéra

Fête, champagne et libertés

Confinée en 2021 et réservée aux seules caméras, voici La Chauve-Souris dévoilée par Angers-Nantes Opéra.

Fête, champagne et libertés

LES GRANDES ŒUVRES du répertoire promettent toujours d’heureuses retrouvailles. À Nantes, on guettait depuis des mois l’envol de cette Chauve-Souris que voici sous la baguette de Claude Schnitzler, qui l’a dirigée « des dizaines de fois ». C’est sûrement grâce à cette « bouteille » qu’il nous épargne un gâteau viennois un peu lourd ou trop de flonflons ternaires, et obtient de l’Orchestre de Bretagne de jolies et vives couleurs, et un rythme justement dosé.

La surprise n’est donc pas dans la fosse, mais dans les choix de Jean Lacornerie. Pour rendre plus haletante cette opérette viennoise, le metteur en scène choisit une traduction des dialogues en français, qu’il écourte, qu’il réécrit. Il revient aussi à la pièce de Meilhac et Halévy, à laquelle il emprunte quelques extraits. Liberté supplémentaire, c’est Anne Girouard, actrice en Madame Loyal d’un soir, qui, en plus d’éclairer avec pédagogie ce vaudeville emmêlé, dit les dialogues en lieu et place des chanteurs. L’idée épargne sûrement quelques approximations de la part d’un plateau vocal à dominante germanophone. Des libertés, Anne Girouard en prend aussi devant un public hilare (elle quitte la ligne pour blaguer sur l’actualité : Premier ministre, situation en Russie) et complète le menu d’Eisenstein d’un clin d’œil circonstancié, avec un « petit Lu ». Le parti pris de l’actrice dynamise les deux heures et demie de spectacle, bien que la frontière avec le Comedy club soit parfois frôlée.

Farce et vaudeville

Il y a dans La Chauve-Souris tous les ingrédients : mari et femme trompés, travestissement, ivresse, quiproquos, dénouements heureux. Les interprètes, débarrassés des causeries, n’abandonnent pas leur enveloppe pour le jeu d’acteurs. La mise en scène de Jean Lacornerie fourmille d’idées, de détails et de mouvements, exigeant de la distribution qu’elle s’engage totalement. Les enchaînements sont fluides, les décors habilement pensés, le champagne coule à flot, la cadence est enivrante : bienvenue au spectacle total ! Le rideau se lève sur un grand mur tapissé de tissu noir, où à travers des tableaux accrochés et un jeu subtil de lumières apparaissent, disparaissent et s’invectivent les acteurs. Plus tard, un grand escalier central de music-hall concentre l’attention ; il sera le promontoire d’une Adèle rayonnante. Quelques escaliers feront ensuite office de prison, où les ivrognes d’un soir découvriront le pot-aux-roses.

Le travail de Bruno de Lavenère parfait cet air de fête. Les costumes noir, doré et blanc, sont de soie, de velours et de paillettes. Les capes bicolores, à l’acte II, couvrent les épaules du chœur et rappellent les ailes de la chauve-souris, dont la présence ne fait que survoler ponctuellement la scène. La ballerine chérie par Gabriel von Eisenstein, l’un des héros de l’ouvrage, est ici un mini-corps de ballet, six danseurs et danseuses en tutu, biais intéressant pour poser la question du genre. Les nombreux accessoires concourent à une esthétique d’ensemble et à l’alimentation des tableaux : képis, tours de magie, plumes et chapeaux.

Le sourire aux lèvres

Les voix de femmes se distinguent, à l’image d’Adèle, pimpante, gracieuse et drôle. Si le rôle semble plutôt écrit pour une colorature dramatique, la voix aérienne de Claire de Sévigné se défend à l’image d’un « Spiel’ich die Unschuld vom Lande » mené avec une maîtrise malicieuse. Rosalinde montre ses talents dès le premier acte en pleurant le départ de son mari Gabriel, dans un « So muss allein ich bleiben » saisissant, la voix clairement projetée. Ce soir, c’est lui qui décide, et tout le monde boira ! La mezzo-soprano Stephanie Houtzeel fait un Prince Orlofsky assuré et espiègle, aux mediums riches.

Le docteur Falk tire les ficelles et manigance les quiproquos. Thomas Tazl livre une belle prestation grâce à des lignes claires et bien tenues, comme dans le « Brüderlein und Schwesterlein » qui met toute la scène en mouvement. Pourtant, dans ce grand tout scintillant, les voix masculines vibrent de moins d’éclat. La faute d’abord à l’état de Miloš Bulajić, annoncé souffrant en préambule de la soirée, et manifestement limité dans sa projection et dans sa justesse. On voit ce soir un Gabriel von Eisenstein tonique et engagé sur scène, plus faible vocalement. Si la fatigue de Stephan Genz semble expliquer un timbre timide, on goûte son sens de la mélodie et une diction claire. Frank, gouverneur de prison, chante l’ivresse une bonne partie de la soirée. Amusant, le baryton-basse autrichien incarne l’autorité chancelante. Si la présence scénique est remarquée, l’émission de la voix est parfois retenue. Les autres rôles, François Piolino en Blind, Veronika Seghers en Ida, sont bien tenus. Le chœur de chambre Mélisme(s), dirigé par Gildas Pungier, livre une prestation de qualité, avec entrain et panache !

On quitte le Théâtre Graslin le sourire aux lèvres. Après Nantes en février, cette Chauve-Souris s’envolera pour Angers : la fête voyage, suivez-la !

La Chauve-Souris, crédit photo : Laurent Guizard

Johann Strauss : La Chauve-Souris. Mise en scène : Jean Lacornerie ; scénographie : Bruno de Lavenère ; lumières : Kevin Briard. Avec Stephan Genz, Eleonore Marguerre, Claire de Sévigné, Veronika Seghers, Milos Bulajić, Thomas Tatzl, François Piolino, Horst Lamnek, Stephanie Houtzeel et Anne Girouard (actrice). Chœur de chambre Mélisme(s), dir. Gildas Pungier. Orchestre national de Bretagne, dir. Claude Schnitzler. Nantes, Théâtre Graslin, 20 février 2024.

A propos de l'auteur
Quentin Laurens

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook