Les Vibrants de Aïda Asgharzadeh

La gueule cassée et la tragédienne, le souffle de la vie

Les Vibrants de Aïda Asgharzadeh

Ils sont partis la fleur au fusil pour une guerre qui ne devait durer que quelques jours. Ils ont chantés La Madelon et ils reviennent en marmonnant l’hymne des morts.14-18, la grande guerre. La guerre de tranchée qui plonge les soldats dans la boue, le sang, l’horreur. Lorsqu’ils ne sont pas ensevelis, empalés sur les baïonnettes, ils sont défigurés pas des obus.

Alors commence le long travail des chirurgiens, des infirmières, des proches. Le combat de ceux qu’on nommera les gueules cassées. Un combat inégal avec la souffrance, le désespoir, la peur. Les plus chanceux pourront avoir des opérations de chirurgie réparatrice, des greffes et pour les autres des prothèses. Douleur et humiliation.

Le moral est un facteur indispensable pour ces malades. Les infirmières doivent s’armer de patience, refouler leur dégoût, éviter une trop grande empathie, au risque de se perdre. Nous suivons dans cette pièce sensible le désarroi d’un jeune soldat, Eugène.

Les Vibrants ne parle pas que de la guerre de 14-18. La pièce parle de la représentation, de celle que nous faisons tous de notre corps, et du poids du regard des autres. Eugène est partie à la guerre avec sa morgue, lui le beau jeune homme à qui la vie souriait, il revient de Verdun, défiguré, brisé. Malgré la douceur et le dévouement des infirmières, il ne peut se résoudre à entamer une nouvelle vie. Jusqu’au jour où une bonne fée vient le visiter. Pour Eugène, ce sera une rencontre divine même si cette fée boîte. Elle n’est ni complaisante, ni larmoyante, non, elle le bouscule et lui propose de participer à une folle aventure faire du théâtre. La grande Sarah Bernhardt met son talent et sa notoriété pour faire du théâtre aux armées pour remonter le moral des troupes. Sarah est une patriote. En 1870, elle transforme l’Odéon en hôpital militaire, et elle troque sa couronne d’impératrice du théâtre pour la coiffe d’infirmière, et soigne sans ménager ses efforts. Elle est la tragédienne la plus célèbre du monde. Elle, la star, le monstre sacré, la femme à la voix d’or joue, déclame devant les poilus. Elle propose à Eugène de jouer, et pas n’importe quel rôle, Cyrano. Lui qui doit porter une prothèse car il a perdu son nez puisque les greffes n’ont pas pris. Pour être Cyrano, il devra porter un faux nez ! Quel paradoxe pour celui qui n’en a plus. Mais finalement jouer le manque aide à le comprendre et à l’admettre. Sarah, qui est amputée d’une jambe, connaît dans sa chair, la douleur. Sarah Bernhardt croit que le théâtre peut guérir, peut sauver. Elle croit au pouvoir du théâtre.

L’auteur est une jeune comédienne, Aïda Asgharzadeh. En visitant l’exposition 1917, au centre Pompidou de Metz, elle eu un choc devant les moulages des visages des gueules cassées. Sa pièce est une réflexion sur l’apparence, sur le masque social que chacun de nous construit. L’artiste se forge un masque, une image. Sans visage perd-on son identité ? Au-delà de tout cela, la pièce est un hommage au théâtre, à sa puissance. Bien sûr, les références cinématographiques nous assaillent, l’extraordinaire Johnny got his gun, qu’il faut avoir vu, et La chambre des Officiers.
La mise en scène de Quentin Defalt joue de ce principe. La succession des scènes, et des lieux, est actée par des rideaux de mousseline que les comédiens ouvrent et ferment, aidé par les jeux de lumières de Manuel Desfeux. Les costumes d’époque de Marion Rebman nous plongent dans l’atmosphère. Même si le début est un peu laborieux, les comédiens nous entraînent dans cette histoire qui ne peut laisser personne indifférent. Les comédiens jouent tous plusieurs rôles. Benjamin Breniere est Eugène, il évite tous les écueils. Mention spéciale à Amélie Manet qui est tour à tour l’infirmière chef un peu strict sous la coiffe et une généreuse Sarah. La plus belle scène de la pièce est ce moment entre Sarah et Eugène. L’apprenti Cyrano tente d’apprivoiser son masque de théâtre, Sarah vient lui donner une leçon magistrale de théâtre et de vie. Un moment vibrant.

Les Vibrants de Aïda Asgharzadeh
Mise en scène Quentin Defalt
Avec : Aïda Asgharzadeh ou Elisabeth Ventura, Benjamin Breniere, Matthieu Hornuss, Amélie Manet
Studio des Champs-Elysées
15, avenue Montaigne 75008 Paris
Tél : 01 53 23 99 19

A propos de l'auteur
Marie-Laure Atinault
Marie-Laure Atinault

Le début de sa vie fut compliqué ! Son vrai nom est Cosette, et son enfance ne fut pas facile ! Les Thénardier ne lui firent grâce de rien, théâtre, cinéma, musée, château. Un dur apprentissage. Une fois libérée à la majorité, elle se consacra aux...

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