Opéra National de Paris

Les Noces de Figaro

Noces burlesques chez les bourgeois

Les Noces de Figaro

Imaginons qu’au lieu des Noces de Figaro on aurait pu lire Fantaisie burlesque à propos des Noces de Figaro, musique de Mozart, livret de Da Ponte : toute réticence serait tombée et le public le plus orthodoxe aurait pu se laisser aller au plaisir d’en rire. Et cela aurait, d’un trait, de deux mots, désamorcé les grincheux qui ont, paraît-il, chahuté les deux premières représentations de la production qui vient de s’installer au Palais Garnier. Le soir de la troisième, qui fut aussi le premier soir où la presse fut conviée, les esprits s’étaient déjà calmés, la bonne humeur avait emboîté le sens de l’humour et, hormis quelques agacements sur des points de détail, l’accueil fut enthousiaste à défaut d’être triomphal.

Proche de l’irrévérence mozartienne

Après avoir surpris puis épaté, il y a cinq ans, les vacanciers du Festival de Salzbourg, la mise en scène du Suisse Christoph Marthaler continue de surprendre et d’épater : de plaisir pour les uns, de rage pour les autres. Elle est pourtant bien moins iconoclaste qu’on veut le laisser entendre et peut-être plus proche de l’irrévérence mozartienne que bon nombre de productions évanescentes. Marthaler en situe l’action vers la mi-temps du vingtième siècle dans une Espagne au mauvais goût kitsch où les femmes s’habillent de froufrous à volants en taffetas synthétique, couleurs dragées de baptême.

Tout se passe dans un lieu improbable, une sorte de galerie marchande provinciale où les devantures d’un magasin pour habits de mariage se font face autour d’un bureau d’état civil, de toilettes pour hommes et dames et les crochets d’un vestiaire d’école. Un plateau surplombe le décor où s’inscrit une carcasse de clavecin, quelques bestioles en peluche et où erre un étrange bonhomme qui ne figure nulle part dans l’œuvre mais qui va s’y incorporer. Inutile de chercher un sens : l’ensemble se contente d’installer une ambiance petite bourgeoise et permet quelques tours de passe-passe qui se substituent aux changements de décor.

Un personnage venu de nulle part et qui dérange les habitudes

La folle journée inspirée de Beaumarchais et sa cascade de quiproquos, pochettes surprises et travestissements, va s’y dérouler fidèle à la trame que Lorenzo Da Ponte en a tiré et que Mozart a si merveilleusement mise en musique. A une notable exception près : celle des récitatifs qui au lieu d’être soulignés de continuos sur boîte à clous, alias clavecin ou piano forte, s’accompagnent ici en toute liberté par des improvisations que le drôle de bonhomme aperçu à l’étage tire d’un piano à bretelle, d’un harmonium portatif, d’une quelconque trombinette ou d’un faux orgue de verre piqué aux frères Baschet. Ce personnage tombé des cintres, venu de nulle part, évidemment dérange les habitudes. C’est Helzapoppin qui, au lieu de traverser l’écran avec un pot de fleur, s’incruste dans les scènes, un tabouret accroché aux fesses et ses bizarres instruments de musique en bandoulière. Insolite et d’une incroyable poésie, il se glisse à travers les situations comme un témoin funambule de la folie des hommes. Le comédien Jürg Kienberger, baptisé dans le programme du néologisme "récitativiste" lui donne une dimension de clown céleste.

Une étourdissante direction d’acteurs

Lenteurs et lourdeurs inutiles gâchent ça et là le plaisir. De gags en gadgets, les plaisanteries finissent par prendre du poids. A croire que Marthaler craignant qu’on ne le comprenne pas, use de redites et de doublons jusqu’à s’y enliser. Un peu comme ces fondues suisses aux fromages qui s’entortillent sans fin autour des bouts de pain. Mais sa direction d’acteurs est tout simplement étourdissante.

Rarement des chanteurs d’opéra prennent aussi visiblement du plaisir à jouer la comédie. Leur allégresse est communicative et jamais n’altère leur musicalité, du moins en ce qui concerne les hommes qui forment le peloton de choc de la distribution : de Don Giovanni au comte Almaviva Peter Mattei conjugue l’élégance, l’intelligence du jeu et la diction impeccable avec une voix aux graves satinés tandis que le Figaro de Lorenzo Regazzo lui réplique avec le même allant, la même clarté, et en prime, le petit air roublard du serviteur plus futé que son maître.

Un Cherubino musicalement parfait et délicieusement coquin

La platitude de la comtesse de Christiane Oelze, visiblement mal à l’aise scéniquement et vocalement se fait heureusement oublier par le charme acidulé de Heidi Grant Murphy en Susanna, Hélène Schneiderman campe une Marcelinna roucoulante et totalement déjantée, mais c’est Christine Schäfer, en sale gamin chaussé de baskets sous un falzar trop large, qui emporte tous les suffrages avec un Cherubino musicalement parfait et délicieusement coquin. La direction de Sylvain Cambreling joue des effets en dents-de-scie, parfois en parfaite adéquation avec les partis-pris de la mise en scène, parfois lâchant la bride aux cordes jusqu’à couvrir les voix, quelques fois, fugitivement, trop rarement, en phase avec la grâce que cette musique-là requiert.

Le Nozze di Figaro, de Mozart et Da ponte, orchestre et choeurs de l’Opéra National de Paris, direction Sylvain Cambreling, mise en scène de Christoph Marthaler, décors et costumes Anna Viebrock, avec Peter Mattei, Lorenzo Regazzo, Heidi Grant Murphy, Christiane Oelze, Christine Schäfer, Helene Schneiderman, Jürg Kienberger. Opéra National de Paris au Palais Garnier, les 11,14,18,20,24,27,30 mars, 2,4 avril à 19h30 - 08 92 89 90 90

Crédit photos : Alvaro Yanez

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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